Pitié pour les animaux !

                                             « L’instant philo », émission du 20/09/2020                                       

                                                              Pitié pour les animaux !                                

Introduction

On a appris dernièrement, non sans une certaine stupéfaction, que depuis 50 ans près des trois quart des animaux sauvages ont disparu de notre planète. Le chiffre vient d’être fourni par le W.W.F., l’association australienne qui se préoccupe de la protection de la vie sauvage. Face à une telle hécatombe, on finit par parler d’une sixième extinction massive des espèces animales dont la particularité est d’être causée par une des espèces présentes sur terre : l’espèce humaine avec sa pétulante activité économique, son essor technologique, et sa démographie galopante.

Les animaux d’élevage ne sont pas en meilleure situation, même s’ils ne sont pas menacés de disparition : élevage en batterie des poulets qui, devenus fous, finissent si leur bec n’est pas sectionné  par s’entretuer ou s’entredévorer, ferme gigantesque où bovins et porcs sont immobilisés et abrutis par des médicaments dans un univers concentrationnaire : les exemples de traitements cruels sont multiples. Heureusement, pourrait-on se dire, les animaux de compagnie, eux, ont au moins une vie agréable mais c’est oublier estime la philosophe Elisabeth de Fontenay, spécialiste de la question de l’animal, que «  la cruauté envers les bêtes est ( …) une violence banale, quotidienne, légale : celle des atrocités non passibles de sanctions. »[i]

Alors, même s’il existe quelques législations – en France, par exemple la loi de 1978 contre les actes de cruauté à l’égard des animaux – force est de constater que l’animal reste en droit un bien meuble, une chose qui appartient à un propriétaire humain qui peut en faire presque tout ce qu’il veut. Son statut juridique n’est pas si protecteur que cela. Par ailleurs, force est de constater que notre éthique s’occupe presqu’exclusivement des relations entre humains. L’impératif : « tu ne tueras pas ! » par exemple, ne s’est jamais appliqué aux animaux de façon spécifique : tout au cours de l’histoire, ils ont pu être ainsi chassés, sacrifiés et mangés.

Alors face à cette insuffisance du droit et à l’habituelle limitation de nos devoirs moraux au cercle des humains, n’est-il pas souhaitable de cultiver cette pitié à l’égard des animaux qui seul, peut-être, peut nous conduire à mieux les protéger. En tout cas, rester indifférent aux traitements cruels infligés aux animaux et au recul spectaculaire de la biodiversité sur terre, semble difficile et peu souhaitable.

Sens et utilité d’une pitié éprouvée pour les animaux.

La sensibilité joue un rôle indéniable dans le développement de notre personnalité morale, même si on sent bien qu’elle peut aussi nous égarer. La pitié éprouvée pour les animaux est un bon exemple de l’ambivalence et l’ambiguïté de ce qu’on peut nommer des sentiments moraux.

Pour Jean-Jacques Rousseau, la pitié  est un élément constitutif de la psychologie morale. Et il estime que « la force de la pitié naturelle » est telle que les mœurs les plus dépravés ont encore peine à la détruire. Comment définit-il la pitié ? En  l’homme naturellement « il y a – écrit-il –  un principe qui tempère l’ardeur qu’il a pour son bien-être par la répugnance innée à voir souffrir son semblable. »[ii]

Quel rapport, me direz-vous, avec les animaux ? C’est que l’homme est ému non seulement par la souffrance de ces congénères mais aussi par celle des animaux qui lui ressemblent de quelque façon. Le sentiment de pitié déborde ainsi le cadre de l’humanité et s’étend aussi sur les animaux comme les chiens, les vaches ou les singes dont on sait percevoir les émotions et les ressentis. Pour Rousseau, la pitié constitue donc un frein naturel à la dureté de l’égoïsme, aux excès et aux cruautés dans lesquels l’homme pourrait tomber notamment dans son commerce avec les bêtes. 

La pitié, la modestie et l’humilité

Cette pitié révèle également, de façon sensible, aux yeux de notre philosophe, une sorte de connivence tacite entre différentes espèces animales. Rousseau se fait ainsi l’écho des réflexions de Montaigne qui déclarait dans Les Essais.

 «  … quand je rencontre, parmi les opinions les plus modérées, les discours qui essaient à montrer l’étroite ressemblance de nous aux animaux et combien ils partagent nos plus grands privilèges : et avec combien de vraisemblance on nous les associe : certes j’en rabats beaucoup de notre présomption : et me démets volontiers de cette royauté imaginaire, qu’on nous donne sur les autres créatures. » [iii]

Pour Montaigne, la première leçon qu’on tire de la pitié éprouvée pour ces animaux semblables à nous est de modestie. On croit communément qu’on se met en position de supériorité par rapport à celui sur lequel on s’apitoie – et cela conduit à penser ordinairement qu’il vaut mieux faire envie que pitié ! Pourtant, la pitié à l’égard des animaux est une façon de nous faire tomber de notre prétendue supériorité qui nous fait croire que les animaux sont si différents de nous.

Montaigne va encore plus loin que Rousseau dans la complicité entre les vivants. Il estime en effet qu’il y a  « un certain respect, qui nous attache, et un général devoir d’humanité, non aux bêtes seulement, qui ont vie et sentiment, mais aux arbres mêmes et aux plantes. » Et il ajoute :

« Nous devons la justice aux hommes et la grâce et la bienveillance aux autres créatures, qui peuvent la recevoir.»[iv]

C’est dire que la pitié, quand on se laisse porter par elle, nous invite à un accueil plein d’humanité des vivants non humains. Elle est ainsi leçon d’humilité. L’humilité, en effet, qu’il faut distinguer de la modestie, est un terme formé à partir de « humus » qui, en latin, signifie la terre. Force est de constater que la pitié pour les animaux, manifestation du sentiment de connivence à l’égard de l’ensemble des êtres naturels, nous replace dans notre condition de simple terrien. Elle nous ramène sur terre. Elle nous rappelle que nous sommes enracinés sur cette planète dans une biosphère en compagnie de tous ces vivants avec lesquels nous partageons une origine commune. Les animaux qui nous apitoie nous ressemblent mais, nous aussi, nous leur ressemblons : c’est ainsi que la pitié nous renvoie à notre animalité, à notre corporéité et à notre mortalité.[v]

Quelles sont les limites de ce sentiment moral très particulier ?

La  pitié envers la souffrance animale présente toutefois un gros défaut : celui d’exclure de notre attention les animaux qui ne nous ressemblent pas. Bernard de Mandeville dans La fable des abeilles le constate. Il écrit : « je ne m’étonne pas que les hommes aient si peu de pitié pour ces créatures imparfaites que sont les écrevisses, les huîtres, les coques et tous les poissons en général. Ils sont muets, leur conformation intérieure comme leur forme extérieure sont très différentes des nôtres, leur expression nous est inintelligible : aussi n’est-il pas étrange que leur douleur n’affecte pas notre entendement puisqu’elle ne peut l’atteindre. »[vi]      

La pitié ne suffit donc pas à protéger l’ensemble des animaux : elle doit donc être complétée par une réflexion générale dans laquelle même ces animaux qui nous laissent indifférents finissent par être pris en considération.    

        Un autre inconvénient majeur de la pitié est d’être un état affectif auquel s’oppose une autre tendance peu sympathique en l’homme : le goût de la cruauté qui se déchaîne parfois face à l’être le plus incapable de se défendre – au point qu’Elisabeth de Fontenay estime que « la cruauté envers les animaux est la chose du monde la plus partagée et la plus déniée »[vii].

 Sans aller jusqu’à là, une chose est sûre, la pitié, comme toute manifestation vive de la sensibilité, peut sombrer dans  l’irrationalité et même, pour ce qui la concerne, dans une certaine mièvrerie. Elle fait alors écran aux vrais problèmes de justice qui se présentent. Assurément, faut-il s’en méfier dans certains cas, car elle peut nous détourner des devoirs qui nous incombent et des tâches politiques à effectuer. Pour éviter cela, sans doute est-il nécessaire à la manière de Victor Hugo de conjuguer défense des animaux, souci de l’égalité et vision politique générale.

Victor Hugo et la défense des animaux

L’exemple de Victor Hugo, montre en effet qu’on peut être sensible à la souffrance animale et, en même temps, un homme profondément épris de justice, de progrès social et de solidarité avec les misérables.

Défenseur de la révolution française et de la République, Victor Hugo fustigent aussi les pratiques cruelles à l’égard des animaux. Le poème intitulé sobrement : « Paris, juillet 1838 » décrit un charretier qui s’acharne sur un cheval qui croule sous son fardeau : la violence sur les chevaux très nombreux à Paris était un vrai problème au milieu du XIXème siècle car leurs propriétaires étaient parfois sans aucun scrupule, ni pitié.

Une autre poésie La chouette pourfend ces pratiques de sorcellerie barbares qui conduisent à clouer les oiseaux de Minerve, parfois encore vivants, les ailes ouvertes, sur des portes. Victor Hugo révolté face à ces actes de cruauté qui restaient alors courants est allé jusqu’à déclarer :       « L’enfer n’existe pas pour les animaux, ils y sont déjà… ».

Cette saine indignation est à l’origine de la loi Grammont de juillet 1850, première loi adoptée à l’assemblée nationale qui concerne la protection des animaux dont voici le texte : « Seront punis d’une amende de cinq à quinze francs, et pourront l’être d’un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques. La peine de la prison sera toujours appliquée en cas de récidive ».

Victor Hugo montre ainsi que la présence en l’homme de cette pitié pour les animaux n’étouffe pas l’engagement contre les injustices dans les sociétés humaines, que cette compassion a bien toujours une valeur régulatrice qui peut contenir le goût humain, trop humain pour la cruauté, enfin que ce sentiment finit par produire des avancées législatives et des changements de mentalité. Les mœurs ont, en effet, bien évolué : nous sommes choqués actuellement par ces actes de barbarie relatés par la presse, pratiqués par un déséquilibré sur des chevaux en Normandie alors qu’au dix-neuvième siècle, les équarisseurs dépeçaient, sans précaution, les vieux chevaux épuisés dans les rues mêmes de Paris !

 Conclusion

Pour conclure, sans doute est-il utile de rappeler que l’espèce humaine est aussi une espèce animale sur laquelle on pourrait bien un jour finir par s’apitoyer tant il est vrai que malgré ses atouts, elle est en train absurdement de vider la planète de ces autres animaux qui assurent en grande partie sa survie et garantissent à tout le moins de vivre, non dans un sinistre désert de bitume et de béton mais dans un monde chatoyant dans sa biodiversité. Une telle irresponsabilité humaine fait pitié ! Mais, il est vrai, que ce n’est pas au sens où l’on déclare  … pitié pour les animaux !

 Références musicales et sonores

Générique : Van Der Graff Generator : « When she comes” dans l’album World record

Pink Floyd :                                                                                                                                                         “                                                                                  Pigs” dans l’album Animals                                                                                                                                                                                                             “Seamus the dog” dans l’album live : Ummagumma

Meuglement de vache et cri d’un singe Gibbon

[i] Elisabeth de Fontenay : Sans offenser le genre humain. Réflexions sur la cause animale, Livre de poche, 2013.

[ii] Jean-Jacques Rousseau : Le second discours, (sur l’inégalité parmi les hommes), première partie

[iii] Montaigne : Essais, II, 11 : « De la cruauté ». (1580)

[iv] Idem

[v] Voir sur ce thème de l’humilité et du rapport aux autres animaux le beau livre de Corine Pelluchon : Réparons le monde. Humains, animaux, nature. Rivages poche , 2020.

[vi] Bernard de Mandeville : La fable des abeilles, première partie (1705-1724), Vrin 1998.

[vii] Elisabeth de Fontenay : Sans offenser le genre humain. Réflexions sur la cause animale, Livre de poche, 2013.

 

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