BILAN Culture 8 février 22
ALTERNATIVES ECONOMIQUES
Trois ministres de la culture se sont succédés au cours du quinquennat Macron. Françoise Nyssen, Franck Riester et Roselyne Bachelot ont tous dû mettre en musique la promesse culturelle de campagne d’Emmanuel Macron : le Pass Culture. Non sans mal… Après différentes phases d’expérimentation et des changements de gouvernance, le dispositif a été finalement généralisé en 2021, et largement remanié par rapport à son concept initial : les chèques sont de 300 euros au lieu de 500, et ne se limitent plus aux jeunes de 18 ans mais sont disponibles pour les collégiens. Le secteur culturel est divisé.
Du côté du livre, qui arrive en tête des achats réalisés par les jeunes avec le Pass, c’est l’enthousiasme : Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition, se félicite d’« une mesure qui amène les jeunes à franchir pour la première fois les portes d’une librairie ».
Le spectacle vivant est bien plus critique. La déléguée générale du Syndicat des musiques actuelles, Aurélie Hannedouche, regrette que « ce dispositif favorise ce que les jeunes connaissent déjà, les artistes les plus grand public. Il aurait fallu miser sur la médiation, sur les actions pédagogiques pour accompagner les jeunes vers la découverte. » Surtout, son coût fait débat : 200 millions d’euros. « Le budget du ministère est dévoré par le Pass », affirme l’Union syndicale des employeurs du spectacle vivant.
Crédits en hausse et aides massives
Le ministère de la Culture souligne lui, qu’au-delà du coût du Pass, les crédits dédiés par l’Etat à la culture sont en hausse : ils s’établissent à 3,274 milliards d’euros dans le PLF 2022, soit une hausse de 8,6 % par rapport à 2021 (3,015 milliards d’euros), et de 12,3 % par rapport à 2018, premier budget du quinquennat (2,916 milliards d’euros). Roselyne Bachelot précise en outre que le secteur a bénéficié pendant la crise de 13,6 milliards d’euros d’aides.
« Avec les dispositifs de soutien aux entreprises et les mesures spécifiques au secteur culturel, il y a eu des aides massives. Aucun cinéma n’a fermé à cause de la pandémie », se réjouit Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale de l’Union des producteurs de cinéma, avant de préciser que « la crise est une longue traîne et que la capacité d’investissement risque d’être affaiblie dans les prochaines années. »
De nombreux responsables du secteur culturel regrettent cependant que la culture ait pu être stigmatisée pendant la crise. « En maintenant leur fermeture, le gouvernement a donné l’impression que les lieux culturels favorisaient la propagation du virus. Et cela peut expliquer désormais le retour difficile des spectateurs dans les salles », observe Aurélie Hannedouche.
Le plan de relance de l’Etat pour la Culture, mis en place en 2020 pour répondre à la crise sanitaire, a octroyé des aides colossales aux plus grandes institutions, comme l’Opéra de Paris, qui a reçu près de 61 millions d’euros. « C’est l’affirmation d’une politique culturelle ultra conservatrice, loin des promesses disruptives, dénonce Vincent Carry, directeur du festival des Nuits sonores, à l’origine de l’appel des Indépendants. L’Etat soutient en priorité les grands équipements parisiens et les formes artistiques les plus institutionnelles ».
Les inégalités se retrouvent aussi chez les employés du secteur ; si dans l’audiovisuel, les intermittents ont retrouvé rapidement un niveau d’activité comparable à celui des années précédentes, ce n’est pas le cas dans d’autres domaines, comme le spectacle vivant. « La prolongation de l’année blanche a été un filet de sécurité, mais au bout du compte, des intermittents ont eu une baisse de revenu et vont voir leurs droits sociaux réduits », prévient Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT Spectacle.(…)
Alors que la France prend en janvier la présidence du Conseil de l’Union européenne, Emmanuel Macron va-t-il miser sur la culture à l’échelle communautaire ? C’est lui qui a été en première ligne dans la directive sur le droit d’auteur, votée en 2019 par le Parlement européen, pour mieux protéger et rémunérer les créateurs à l’ère numérique.
« Le gouvernement nous défend bien face aux Gafam », souligne Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française, qui rappelle aussi la bataille en France sur les frais de port des ventes en ligne. Une loi instaure désormais un prix plancher pour éviter la concurrence déloyale d’Amazon. Mais à l’échelle de l’Union, la culture reste une compétence faible, dite d’appui. La marge de manœuvre est donc étroite.
En s’investissant directement sur le terrain culturel, Emmanuel Macron aura mis de côté le lien avec les collectivités territoriales, qui sont pourtant les premiers financeurs publics du secteur – 5,7 milliards d’euros pour les villes en 2019 de plus de 3 500 habitants. Il aura aussi contribué à réduire les prérogatives mêmes du ministère de la Culture, en multipliant les missions, celle sur le patrimoine confiée à Stéphane Bern par exemple, en créant un opérateur extérieur pour le secteur musical (le Centre national de la musique) et surtout en pilotant lui-même depuis l’Elysée le jeu des nominations à la tête des structures culturelles. C’est lui qui a choisi Laurence des Cars pour le Musée du Louvre, Olivier Mantei pour la Philharmonie de Paris… Faut-il dès lors autant s’étonner qu’Eric Zemmour propose de supprimer le ministère de la Culture ?
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