VIVA CULTURE 5 MARS 2023

HISTOIRE DU MUSEE MALRAUX #2

ENTRETIEN d’Isabelle Royer avec Clémence Ducroix, chargée des collections et de la documentation au musée Malraux.

Suivant l’organigramme , dans l’objectif de Reynold Arnould « de bien montrer, de stimuler la recherche, de faciliter les échanges, d’organiser des rencontres, de provoquer des contacts[1] », le nouveau musée du Havre offre aussi des lieux nouveaux, des espaces destinés à des activités qui sortent des usages traditionnels des musées d’avant-guerre et qui doivent favoriser la médiation et encourager la créativité de tous : la salle de conférence, la bibliothèque, les ateliers (qui devaient pouvoir être mis à la disposition d’enfants, de jeunes gens, d’artistes), le bar-club, les réserves d’étude, etc. Parce que déjà existants dans le projet initial de Reynold Arnould qui imaginait dès le départ croiser les expressions artistiques dans son musée, ces éléments ne demanderont que quelques aménagements (possibilité de projections, d’aménager des scènes, discothèque) pour se couler dans un projet de Maison de la culture.

Très rapidement dans le projet (maquette du troisième avant-projet de 1954) et à la demande des architectes, la façade maritime du bâtiment est accompagnée d’une sculpture monumentale en béton armé commandée au sculpteur Henri-Georges Adam.[2]. (…)

1999 : Restructuration

L’aventure musée-maison de la culture dure peu de temps. Dès 1967 l’association de la Maison de la culture du Havre quitte le bâtiment, laissant la place au seul musée des beaux-arts.

Le bâtiment pose rapidement des soucis d’entretien et de conservation. Sa structure est particulièrement solide et souple mais sa position dans la ville face aux intempéries et aux vents met à rude épreuves les baies et les jointements. Très tôt il a fallu faire face à de multiples soucis d’infiltrations qui accumulés n’ont pas été sans conséquences sur les collections.

La coexistence de l’aluminium et de l’acier sur les façades a créé, par électrolyse[5], une corrosion prématurée des structures et de la grande porte de service[6]. Le paralume doit lui être rénové en 1983[7].

Bien que particulièrement travaillée, la lumière est malheureusement trop importante dans les salles d’exposition pour une bonne conservation des œuvres et les modifications apportées au cours du temps pour y remédier, ont profondément modifié des éléments fondamentaux du bâtiment. (…)

Enfin, malgré les recherches des architectes, le climat intérieur du bâtiment s’est révélé immédiatement incontrôlable. Guy Lagneau dans un entretien à Joseph Abram en juin 1990 le reconnait : « Nous avons sous-estimé le climat [10]».(…)

De première études sont lancées mais au fil des échanges entre Françoise Cohen, conservatrice du musée et le service de l’architecture de la ville et à la suite d’une rencontre avec Guy Lagneau, la nécessité s’impose d’une étude globale : un bilan architectural et technique mais aussi un bilan culturel[14].

Les règlementations en matière de sécurité, de sûreté, de conservation préventive et d’accessibilité a beaucoup évolué et le bâtiment dans sa configuration et ses équipements peine à s’y conformer.(…)

 Les usages et les modes de présentation des œuvres ont évolué, rendant la scénographie de Reynold Arnould obsolète. Le quasi-monopole du « white cube » pour la présentation de l’art contemporain et le besoin de créer des parcours et des espaces de contemplation plus resserrés pousse à cloisonner régulièrement l’espace de systèmes plus ou moins adaptés et esthétique.(…)

Après consultation et accord de la Direction des Musées de France qui va suivre et financer une partie du projet une étude de définition est confiée aux architectes Claude Tautel et Philippe Villen en 1990 et 1991[15].

Cette étude fixe trois objectifs à la rénovation du musée :

« –Créer un lieu convivial de travail et d’échange

-Définir une nouvelle identification du musée (une nouvelle identité ?) autour de ses collections et autour d’un domaine pédagogique fort ( ?) ; développer une programme d’expositions temporaires rattachant le musée à l’art de son temps,

– Meilleure exploitation du cadre géographique du musée et meilleure liaison à la ville » [16]

Avec une priorité

« –Mise à jour des conditions de présentation

-Attention soutenue aux futurs couts de maintenance et de fonctionnement

-Remise aux normes réglementaires » [17]

L’orientation du programme est adoptée au conseil des adjoint du 18 juin 1992[18].

(…) La ville et Françoise Cohen ont conscience désormais que ce bâtiment est un « témoin important de l’architecture des années 50[21] ». Ils sollicitent donc la présence de l’atelier LWD dans le jury. Guy Lagneau préfère rester en retrait mais demande à Joseph Abram de le remplacer.

Les lauréats du concours sont Emmanuelle et Laurent Baudouin, Sandra Barclay et Jean-Pierre Crousse. L’avant-projet sommaire est adopté en conseil municipal le 29 mai 1995[22]

Le changement de municipalité (11-18 juin) 1995 ne remet pas en question le projet déjà lancé mais quelques modifications sont proposées par la nouvelle majorité qui demande davantage d’ouverture et de transparence, un bâtiment plus tourné vers a mer[23]. Ainsi que le déplacement des bureaux administratifs dans les combles pour favoriser la vue sur mer du restaurant[24].

Objectifs des opérations présentée en 1998 dans le Dossier des cadres A de la ville du Havre :

« –Remise aux normes réglementaires du bâtiment

-Renouvellement complet des installations techniques, chauffage, climatisation, éclairages, sécurité des œuvres

-Renouvellement des présentations

-Création de nouveaux espaces et de nouveaux services aux publics qui favorisent la convivialité du lieu

-Optimisation dans la répartition des surfaces permettant de doter le musée des espaces nécessaires à un fonctionnement moderne[25] »

Le coût prévisionnel du projet de restructuration est de 66 millions de francs.

Les travaux commencent en janvier 1997 par une mise à nu de la structure, le retour au gros œuvre d’origine et le démontage complet des verrières[26].

Compte tenu du statut emblématique du bâtiment, le projet d’Emmanuelle et Laurent Baudouin se proclame placé dans une filiation assumée du projet de Guy Lagneau et le respect de ses principes fondateurs.(…)

Elément majeur de l’identité du bâtiment, la façade ouest a été particulièrement travaillée. Les profilés d’aluminium ont été redessinés pour conserver l’aspect extérieur du bâtiment tout en intégrant les nouvelles exigences, techniques et réglementaires en matière de résistance au vent et d’isolation. Un film plastique sépare acier et aluminium pour éviter les précédents phénomènes d’électrolyse[32]. Afin de préserver des vues sur l’extérieur et de conserver la qualité de la lumière d’origine tout en respectant les règles de conservation préventive les verrières intérieures ont été sérigraphiée d’une trame de lignes verticales et horizontales dont le rythme et l’épaisseur ont été déterminées, avec l’aide de l’expertise de Saint-Gobain, par calcul d’après la position du bâtiment par rapport à la course du soleil[33], cette double parois est complétée par des plaques de verre pivotantes elles aussi sérigraphiées entre les deux parois de la façade

De nouveaux plafonds suspendus en dalle translucides filtrent la lumière du paralume dans la nef et sur tout le pourtour du bâtiment. (…)

Contrairement au projet initial des années 1950, les architectes ont proposé l’aménagement intérieur et la muséographie (scénographie et mobilier). Pour répondre à la priorité d’augmenter les surfaces d’exposition la mezzanine a été doublée en largeur[34]. A total le musée dispose au final de 14060 m² pour les collections permanentes et 360 m² pour les expositions temporaires.

Malgré le souhait de rester dans l’esprit des caractéristiques initiales et emblématique du bâtiment, l’aspect flexible de l’espace a considérablement été réduit. (…)Sur la mezzanine, la sensation d’espace est conservée grâce au jeu des hauteurs du plafond. Axe principal de la lecture du bâtiment, quasi signature « Baudouin » [36], la passerelle inclinée qui monte vers la mezzanine participe aussi de la fluidité du parcours en invitant à la lenteur et à la contemplation de l’espace entier du musée et du paysage.

(…) Le musée des années 2000 est fidèle au projet des années 1950 : il est toujours voulu comme un lieu vivant de culture, accueillant (le terme de référence étant alors « convivial ») et proposant de multiples moyens de compléter et d’enrichir la visite. Pour rendre une lecture plus cohérente du site, les architectes ont rassemblé les espaces d’accompagnement sur les deux premières travées du bâtiment. La grande innovation est l’espace d’accueil grand ouvert sur la mer et le paysage comme sur le musée, qui distribue les multiples fonctions du site : salles d’expositions, librairie, vestiaire et PC sécurité au niveau 1, salle de conférences, ateliers publics, bibliothèque, sanitaires, réserves, bureaux et ateliers techniques au niveau -1, caféteria, sanitaires et amis des musées au niveau +1, conservation au niveau +2.

A l’occasion de ces travaux les installations techniques ont été entièrement repensées (chauffage, climatisation, sécurité, éclairage et accessibilité[37]) ?

Montant total des travaux au final : 72 millions de Francs [38]

VDH 28 MF

Etat 20 MF

Région haute Normandie 7,5 MF

Département de la Seine Maritime 7,5 MF

Feder 9MF[39]

Situation actuelle

Actuellement, vingt ans après la réouverture du musée et malgré les opérations régulières d’entretien nous sommes à nouveau confrontés au vieillissement inévitable du bâtiment.(…) Les matériels et les solutions de 1999 atteignent aussi leurs limites de capacités et d’obsolescence (filtrage des UV, acoustique, monte-charge, système de chauffage et de climatisation, désenfumage, etc.) ou ne sont plus adaptées aux exigences actuelles de conservation et de sobriété énergétique.

Le Signal pose aussi de réels soucis de préservation. Restauré en 2011-2012 pour 370 000 euros il pose à nouveau de graves problèmes de conservations des bétons qui éclatent avec l’oxydation des fers. (…)

La collection du musée et ses publics s’étant considérablement développés depuis 10 ans nous manquons de désormais de place pour montrer correctement nos collections permanentes et donner tout l’espace nécessaires aux ambitieux projets d’expositions qui font la réputation du musée. De même, dans les réserves comme dans les les bureaux nous sommes à l’étroit.

Enfin le réchauffement climatique maintenant installé, certainement pas envisagé par les concepteurs du musée d’après-guerre, fait que désormais ce positionnement en bord de mer idéal pour la lumière, la visibilité et la vue nous rend particulièrement vulnérable, en danger désormais réel de submersion marine. La question de la rénovation du bâtiment est désormais réouverte.

[1] Reynold Arnould, Le musée-maison de la culture du Havre, Voici le Havre, R. Gobled, « La Vigie », Le Havre, 1963, p. 99

[2] Les honoraires du sculpteur ont été payés par les architectes (voir Joseph Abram, « Une conception architecturale innovante le musée-maison de la culture du Havre 1952-1961 », Construire le musée imaginaire, Somogy éditions d’art/ MuMa, Paris / Le Havre, 2011, p. 97) mais faute de budget, c’est l’État (Bureau des travaux d’art, Secrétariat d’État aux Arts et Lettres, Ministère de l’Éducation nationale) qui règle les frais de construction lui donnant son curieux (pour un immeubles) statut actuel de dépôt du Centre National des Arts Plastiques.

[3] « La sculpture monumentale (Le Signal) de H. G. Adam, sur le parvis Ouest, toujours visible de l’intérieur de l’édifice, répond étroitement, grâce à son évidement central, au soucis permanent de faire participer le ciel, l’animation du port, à la vie intérieure du lieu. », Reynold Arnould, Le musée-maison de la culture du Havre, Voici le Havre R. Gobled, « La Vigie », Le Havre, 1963, p. 95

[4] Comme par exemple le projet de musée à croissance illimité de Le Corbusier de 1939 ou le project d’un musée pour une toute petite ville de Mies van der Rohe (1942-1943).

[5] Laurent Baudouin et Jean-Pierre Crousse, « Le Musée Malraux du Havre : transformation dans la continuité », Architecture de la culture, relai du pouvoir européen, Docomomo International, Paris, 2009, p. 34-38

[6] Joseph Abram, « Transformer, préserver, une architecture manifeste », Construire le musée imaginaire, Somogy éditions d’art/ MuMa, Paris / Le Havre, 2011, p. 108

[7] Françoise Cohen, Rénovation du musée des beaux-arts André Malraux, Le Havre – Vers une chronologie du projet, 22 août 1995, tapuscrit (archives MuMa)

[8] ibidem

[9] Joseph Abram, « Transformer, préserver, une architecture manifeste », Construire le musée imaginaire, Somogy éditions d’art/ MuMa, Paris / Le Havre, 2011, p. 108

[10] Joseph Abram, « Une conception architecturale innovante le musée-maison de la culture du Havre 1952-1961 », Construire le musée imaginaire, Somogy éditions d’art/ MuMa, Paris / Le Havre, 2011, p. 104

[11] En 1966 (AMLH 222W305)

[12] Avec installation du premier système de sécurité : Françoise Cohen, Rénovation du musée des beaux-arts André Malraux, Le Havre – Vers une chronologie du projet, 22 août 1995, tapuscrit (archives MuMa)

[13] Françoise Cohen, Rénovation du musée des beaux-arts André Malraux, Le Havre – Vers une chronologie du projet, 22 août 1995, tapuscrit (archives MuMa)

[14] ibidem

[15] ibidem

[16] ibidem

[17] ibidem

[18] ibidem

[19] ibidem

[20] ibidem

[21] ibidem

[22] ibidem

[23] Anonyme, « Trois questions à Antoine Rufenacht », Havre Libre, 19 mars 1999, p. 3

[24] Entretien Annette Haudiquet, 2022

[25] Ville du Havre, Dossier des cadres A. septembre 1998 (AMLH : dossier documentaire)

[26] ibidem

[27] « rien ne s’est fait, dans cette réalisation, sans leur accord » entretien avec Laurent Baudouin : Joseph Abram, « Transformer, préserver, une architecture manifeste », Construire le musée imaginaire, Somogy éditions d’art/ MuMa, Paris / Le Havre, 2011, p. 111

[28] Entretien avec Laurent Baudouin : Joseph Abram, « Transformer, préserver, une architecture manifeste », Construire le musée imaginaire, Somogy éditions d’art/ MuMa, Paris / Le Havre, 2011, p. 111

[29] ibidem

[30] Pour pallier aux surfaces ainsi perdues Laurent Baudouin avait imaginé un système (une “machine”) de presentation des collections graphiques : entretien avec Laurent Baudouin : Joseph Abram, « Transformer, préserver, une architecture manifeste », Construire le musée imaginaire, Somogy éditions d’art/ MuMa, Paris / Le Havre, 2011, p. 110. Note de l’auteur : ce système a rapidement été abandonné.

[31] entretien avec Laurent Baudouin : Joseph Abram, « Transformer, préserver, une architecture manifeste », Construire le musée imaginaire, Somogy éditions d’art/ MuMa, Paris / Le Havre, 2011, p. 111

[32] Interview de Jean-Pierre Crousse : Philippe Lenoir, « 1997-1999 deux ans pour un nouveau musée La culture en transparence », Havre Libre, 17 mars 1999, p. 13 / Laurent Baudouin et Jean-Pierre Crousse, « le Musée Malraux du Havre : transformation dans la continuité », Architecture de la culture, relai du pouvoir européen, Docomomo International, Paris, 2009, p. 34-38

[33] Ville du Havre, Dossier des cadres A. septembre 1998 (AMLH : dossier documentaire)

[34] Interview de Jean-Pierre Crousse : Philippe Lenoir, « 1997-1999 deux ans pour un nouveau musée La culture en transparence », Havre Libre, 17 mars 1999, p. 13

[35] « Actualité d’un musée prototype, le musée André-Malraux du Havre », Véronique et Alain Dervieux, L’architecture des musées au XXe siècle, CNDP, 2008, p. 45

[36] Guy Lagneau, fidèle à ses principes modernistes voulait un escalator ! : Joseph Abram, « Transformer, préserver, une architecture manifeste », Construire le musée imaginaire, Somogy éditions d’art/ MuMa, Paris / Le Havre, 2011, p. 110

[37] Interview de Jean-Pierre Crousse : Philippe Lenoir, « 1997-1999 deux ans pour un nouveau musée La culture en transparence », Havre Libre, 17 mars 1999, p. 13

[38] Anonyme, « Musée André Malraux inauguration officielle aujourd’hui », Havre Libre, 19 mars 1999, p. 3

[39] Anonyme, « Réouverture du Musée Malraux au Havre », Lettre d’information du Ministère de la culture et de la communication, 14 avril 1999, p. 15

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