Medium : Installation.
Techniques : Techniques mixtes.
Description : Un tas de charbon d’une douzaine de tonnes occupe une benne métallique.
Deux électrodes en tubes métalliques y sont campées. Deux câbles électriques pour le chargement des batteries de camion, un rouge et un noir, les relient à un panneau d’éclairage LED. La lumière blanche que ce dernier diffuse prend toute son intensité à la nuit tombante.
GENERATION
In situ :
La présence de GENERATION sur le site du Syndicat Général des Ouvriers Dockers du Port du Havre s’affirme avec évidence par la nature des activités des hommes qui y travaillent. Deux entités tutélaires l’observent pour rappeler sa filiation avec le territoire et son histoire : Jules Durand, dont le buste siège à l’entrée du parking ; de l’autre côté de la rue du Général Chanzy, dans le lointain, les tours de la centrale.
A quelques pas de là, depuis le quai de Saône, se déploie le panorama de plus d’un demi-siècle de mutation de l’industrie énergétique. Si les deux tours de la centrale thermique, vestiges d’un passé révolu, siègent encore dans une grandeur vieillissante qui trahit leur obsolescence, la page d’une nouvelle ère technologique en matière de production électrique se développe dans le paysage. Les chantiers éoliens s’étendent, ouvrant de nouveaux secteurs d’activités.
En remontant le quai de Saône en direction de la cloche des dockers, une plaque vient rappeler la maison où vécut le docker charbonnier Jules Durand. Cette signalétique redessine une fresque de l’histoire industrielle havraise de plus d’un siècle. Elle témoigne des capacités humaines à faire face et à traverser les mutations industrielles mais aussi à repenser la distribution du fruit de l’exploitation des ressources communes.
Intentions :
Par la sensibilité plastique, le projet suscité par l’installation GENERATION explore l’identité du Quartier de l’Eure, son caractère original, industrialo-portuaire, autant qu’il se nourrit de la vitalité de ses activités et de celle de ses acteurs.
La Centrale EDF, équipée de ses deux cheminées, fait figure de cathédrale industrielle dans le paysage du Port Autonome. La vaste superficie de ses bâtiments, le déploiement de ses parcs, tout comme la fantomatique ressource qu’elle consumait, participent encore à ce fort ancrage visuel. Si l’on soupçonne l’importance qu’eut sa production énergétique jusqu’au 1er avril 2021, le mystère autour des équipes qui y travaillaient et des mouvements des engins sur sa zone demeure.
Depuis près de six décennies, les résidants des quartiers sud et l’ensemble des havrais cohabitent avec cette entité industrielle. A l’échelle mondiale, la combustion d’énergie fossile, parallèlement à l’apparition de nouvelles générations de productions énergétiques, a conservé toute son actualité. Il y a peu, Route du Môle Central, les « dos de baleines », dévorés par la machinerie du site, témoignaient de l’emploi du minerai et de sa contribution dans la production d’électricité, journalièrement consommée en Haute-Normandie, allant jusqu’à atteindre 20%.
Au cœur de cette activité, le charbon fut la ressource première. Des minéraliers en acheminaient chaque année, d’imposants volumes, depuis la Pologne, les États-Unis, l’Afrique du Sud, la Colombie ou l’Australie. Trois jours durant, les transporteurs déchargeaient la matière fossile qui alimentait le parc. Pendant la nuit, le site revêtait les apparences d’une base de film de science-fiction. Sous de puissants éclairages, les engins gravissaient à grande vitesse les hauts monticules, déplaçant d’importantes quantités de minerai. Aux commandes de machines, les hommes élaboraient un relief artificiel questionnant la provenance même de cette ressource.
Imprégnée d’ambivalence, l’installation GENERATION transcende les controverses liées à l’exploitation et l’utilisation des énergies fossiles. Elle agrège conjointement et dans leurs complexités les questions liées à la mémoire, au patrimoine culturel industriel, à l’écologie, à la transformation des activités humaines et au partage des ressources. Elle matérialise une coexistence humaine de plus d’un siècle avec les centrales thermiques et pour les Havrais une histoire en passe de disparaître.
Avec l’installation GENERATION le contraste du charbon mat avec la lumière blanche du panneau à LED rappelle en creux la part importante, bien qu’invisible, des ressources fossiles dans l’éclairage mondial au quotidien : l’espace domestique, public et industriel.
Sébastien Jolivet
« dos de baleines » : monticules de charbon
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