51 ans en 2011

Ces 50 ans, c’est, depuis 1961, la conjonction de plusieurs forces autour du travail et de la générosité des artistes : celles des professionnels, des pouvoirs publics, de la Ville et des citoyens, comme l’avait pensé André Malraux.
Cette Maison, au Havre, elle est d’abord un monument architectural central, Le Volcan, l’emblème du spectacle vivant, du cinéma et plus largement des arts, depuis 1982.
Elle fut aussi abritée dans d’autres bâtiments modernes tout aussi emblématiques, le musée des beaux-arts (1961-1967) puis le théâtre de l’hôtel de ville (1967-1981).
Elle est le lieu des rencontres des habitants avec des artistes, des auteurs, des œuvres. Elle est l’espace de l’émotion et de l’intelligence partagées.

Non qu’elle soit le seul lieu culturel de cette ville. Mais son histoire mouvementée a été inventive, pionnière.
Les habitants du Havre peuvent s’en enorgueillir : c’est dans leur ville qu’une autre idée de la culture a pris forme, de par la volonté d’un ministre, compagnon fidèle du général De Gaulle, relayé par quelques hommes passionnés et pragmatiques, reprenant le flambeau ancien d’un théâtre populaire accessible à tous.

L’association MCH a voulu, à l’occasion du cinquantenaire, partager avec ses adhérents, avec les spectateurs du Volcan, plus largement les Havrais, et au-delà, l’histoire de cette Maison, pionnière en son genre en France, précieux héritage, et mettre en perspective l’histoire de la vie culturelle au Havre pendant un demi-siècle.

L’origine

Le pari était loin d’être gagné quand, à la Libération, l’on commença à s’interroger sur la possibilité d’un théâtre de quelque importance au Havre. Le grand théâtre d’avant-guerre, place Gambetta, n’était plus que ruines depuis les bombardements de 1944.

Quelle est l’idée folle, l’idée originelle de la création du musée-maison de la culture ?

André Malraux recevant Bernard Mounier, élu directeur en 1967, lui « souhaite du courage pour la longue marche de l’esprit vers la culture partagée ».

« La culture partagée » : l’expression est d’importance, elle concentrera tous les efforts des politiques, des professionnels et des militants pendant 50 ans.
Développer au Havre une offre culturelle autre que les traditionnelles tournées Baret ou des opérettes, inviter un large public diversifié à des spectacles variés de qualité, en un mot « démocratiser » la culture.

Les fondateurs de la Maison de la culture, l’Etat, la Ville du Havre, les équipes professionnelles successives à l’œuvre, mais également la population havraise ont, chacun à leur place, joué un rôle dans ces années de gestation.

Le Musée-maison de la culture

En novembre 1958, est adopté le projet du musée des Beaux-Arts. « La conception de ce musée à laquelle le conservateur Reynold Arnould a très largement participé, comprend non seulement les éléments nécessaires à la mise en valeur des collections mais aussi des dispositions permettant des activités propres à celle d’un « Institut Culturel » » soulignait Jean Legoy dans Cultures havraises.

En 1960, le ministère de la Culture et la municipalité du Havre s’entendirent sur l’idée de faire du nouveau musée, en cours de construction, une institution culturelle novatrice.
Dans le projet ambitieux et visionnaire de Reynold Arnould, 50 % des surfaces étaient ainsi dévolues à cet institut, avant même qu’il en fût question dès la conception du musée.
Le musée devait dans ce cadre bénéficier d’une salle de conférences rattachée à une bibliothèque d’arts et des civilisations. Il y aurait aussi projection de films d’arts éducatifs et audition de disques. Enfin, étaient également prévus des concerts de musique de chambre ainsi que des ateliers d’arts, des locaux d’étude pour les étudiants,  et un espace de documentation, de démonstration des techniques.

L’Institut culturel prendra le nom de « Maison de la culture » dans les mois qui vont suivre. C’est sous cette nouvelle appellation que le Ministère des Affaires Culturelles va l’inscrire sur son budget.

Le 9 mai 1961 a lieu la première Assemblée générale qui souligne que le but de la Maison de la culture du Havre, première en France, est «d’être le lieu d’une confrontation entre les formes les plus hautes de la culture ».
Et Reynold Arnould de préciser : « (…) Je crois que c’est d’abord une ambition, cette Maison de la Culture ; et aussi une exigence qui veut dire l’apport de manifestations diverses, d’hommes divers, d’une qualité nationale et souvent internationale », avant de conclure : «  Ses activités culturelles (…) ont un sens qui s’étend par-delà l’intérêt qui serait apportées à des manifestations à caractère purement plastique. Le mot culture « s’étend aux activités scientifiques aussi bien que techniques ».

Et de conclure « Un esprit est donc à inventer car c’est une invention permanente. On n’arrive pas avec une image à coller. Il faudra à tout instant réfléchir, comment faire, pourquoi, vers quoi ».
Monsieur Rouvet, représentant du ministère des Affaires culturelles, s’enthousiasme d’ailleurs à l’occasion de cette AG : « La Maison de la culture du Havre, c’est un miracle dans le sein de notre équipe. »

Le 24 juin 1961, la Maison de la culture est inaugurée par André Malraux en personne. C’est à cette occasion qu’il dira : « Il n’y a pas une maison comme celle-ci au monde, ni au Brésil ni en Russie, ni aux Etats-Unis. Souvenez-vous Havrais de ce jour et sachez bien que l’on dira que c’est ici que tout a commencé… ».
Le rêve de Malraux, comme le désigne Charles-Louis Foulon, est en marche. Il ne s’arrêtera plus.

 

Un nouveau ministère

Création en 1959 d’un nouveau ministère, des « Affaires culturelles », invention du rôle de l’Etat responsable d’une politique culturelle nationale, tendant notamment à rendre les œuvres accessibles au plus grand nombre possible, rêve de ministre…

Ecoutons deux anciens ministres.

Ancien ministre de la Culture de Jacques Chirac, entre 1993 et 1995, Jacques Toubon rappelle un point jusqu’à présent indépassable : il est acquis qu’ « une responsabilité politique inspire le développement culturel, au plan national comme au plan local. »

On se souvient par ailleurs de Jacques Duhamel ministre des Affaires culturelles entre 1971 et 1973 qui a mené une politique pour insérer la culture au sein de la société, dans la vie quotidienne. Il souhaitait développer la sensibilité des enfants aux œuvres de l’art, promouvoir l’apprentissage des adultes. Il a en particulier mis en place des procédures contractuelles entre l’État et les institutions culturelles.
D’autre part, Michel Guy, secrétaire d’État à la Culture entre 1974 et 1976 dans le premier gouvernement Jacques Chirac, a prôné le volontarisme politique dans le domaine culturel, tout en étant libéral en terme économique. Il a notamment doublé l’enveloppe de la politique théâtrale.
Mettant ses pas dans ceux de Malraux à Amiens en 1993, Jacques Toubon reconnaît les réussites. Mais il s’interroge sur l’impact des mutations dues aux medias et aux technologies, la faiblesse de l’éducation artistique, le développement concurrentiel des industries culturelles.

D’autre part, l’époque du ministre Jack Lang fut à bien des égards « flamboyante ». Avec la victoire de la gauche en 1981, le budget de la culture est doublé.
Jack Ralite, animateur des États généraux de la culture depuis 1987 a travaillé avec Lucien Marest et Roland Leroy à la définition et à la mise en œuvre d’une nouvelle politique culturelle pour la France,
Par ailleurs, il s’est engagé pour l’exception culturelle et contre les accords de libéralisation du commerce et contre l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) en 1995 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : un accord visant la libéralisation des échanges de services, qui selon ses promoteurs apporterait une utilisation plus efficace des moyens de production, tandis que ses détracteurs y voient une menace pour l’universalité des services publics.
Lucien Marest réfute l’idée d’un consensus droite/gauche sur la culture. Il rappelle que la question des budgets et de la liberté artistiques faisait débat, les maisons de la culture étant alors vilipendées par certains. Il insiste sur les inégalités économiques et sociales qui font obstacle à la « culture partagée »

 

L’histoire de la maison de la culture

Si cette institution, la Maison de la culture du Havre fait partie de l’Histoire, elle a une histoire.

Comment ne pas être saisi, grâce à Charles-Louis Foulon, spécialiste d’André Malraux, de la situation paradoxale du premier ministre de la culture ?
Sa volonté de construire des « cathédrales culturelles » sur tout le territoire, rencontre des obstacles financiers majeurs, au sein même du gouvernement. D’où cet aveu : « Ce que je veux est fou, ce que je peux est nul ».

L’histoire de la Maison de la culture est celle d’une conquête. Elle est le fruit d’un lent travail. Car les premières années sont des années de mise en route. Tout est à faire, tout est à créer.
C’est pourquoi le rôle de chacun a été déterminant pour impulser les actions, prendre des décisions, animer les équipes, mettre en œuvre les rêves et les désirs ….

De 1961 à 1991, la MCH opère ainsi lentement sa métamorphose.

De coopération en partenariat, elle structure ses relations avec l’Etat, tout comme avec la municipalité, souligne l’historien Serge Reneau, dans cette vaste entreprise de décentralisation de la culture. Il explique que « la politique des maisons de la culture a suscité de nouvelles formes contractualisées de coopération culturelle entre l’Etat et les villes. »

L’historienne Marie-Paule Hervieu Dhaille rappelle que Le Havre reste avant tout une ville ouvrière. L’originalité de cette histoire repose sur les liens noués entre le monde du travail, politique et syndical, et la MCH.
On y assiste, de façon tout à fait spécifique, à des « partenariats privilégiés, triangulaires, entre le mouvement ouvrier havrais, pour ne pas dire la CGT, le parti communiste, par ses élus et ses militants, la Maison de la Culture, sa direction et ses animateurs : tous participent de la construction d’une hégémonie culturelle à gauche, mais aussi de la confrontation à une série de crises qui les traversent».

Enfin Christian Chevandier, spécialiste de l’histoire du travail, des milieux populaires et des mouvements sociaux, brosse le portrait de ces militants à travers celui d’un postier lyonnais, Georges Vallero, né en 1937, marqué par la guerre.
« La culture ne le laisse pas indifférent. En ces années 1960, il passe des heures dans les salles de cinéma, lit avidement des romans mais aussi des essais, écrit même des romans.» Animateur d’un ciné-club, il affirme : « Le cinéma facile, on le trouve dans les salles commerciales et à la TV…Le nivellement par le bas, nous sommes contre ».
Le rêve de démocratisation n’est pas si irréaliste que cela !

 

La mémoire vive

Mais les étapes de l’aventure de la Maison de la culture prennent aussi l’épaisseur du souvenir : elles se révèlent grâce aux regards rétrospectifs des principaux acteurs.
Comment ne pas être captivé par les témoignages et les analyses des directeurs, présidents, professionnels, revivant par le souvenir, des années essentielles ? Ils sont avant tout des gens passionnés et qui parlent très bien de leur passion. Leurs témoignages sont replacés ici dans leur perspective historique.

1961/1967Reynold Arnoud, puis Marc Netter, les premiers directeurs, ont essuyé les plâtres. Des expériences ont été tentées.
Reynold Arnould quitte la direction de la MCH au profit de Marc Netter, tout en conservant celle du musée en 1963. Cette scission ne fut pas aisée.
Marc Netter a ouvert de nouvelles voies à la Maison de la culture en créant un prêt d'œuvres d'art et en élargissant l'éventail des spectacles proposés. Pour lui, le rôle de la MDC est de « multiplier les rencontres entre les individus atomisés, solitaires, autour des grandes créations de l'esprit humain ». Avec lui, par exemple, la chanson, qu'elle soit le fait de débutantes prometteuses, comme Anne Sylvestre, ou de talents déjà confirmés, comme Léo Ferré, a pris ainsi toute sa place.

L'histoire de la création et du développement du cinéma est également passionnante grâce à la mémoire précise de Vincent Pinel.
C'était une gageure : les problèmes des locaux étaient récurrents et les conditions de projection des films, au début, très difficiles. En effet, la configuration du musée-maison de la culture ne permettait ni grands spectacles, ni projections de qualité. Mais, petit à petit, les choses vont s'améliorer, notamment après le premier déménagement de la M.C.H.
L'installation de chapiteaux place Gambetta, puis l'occupation partielle du tout nouveau théâtre municipal de l'Hôtel de Ville fin 1967 vont permettre provisoirement de résoudre ces problèmes.

1967/1975Le nouveau directeur, Bernard Mounier, va ainsi pouvoir travailler sur une scène neuve bien équipée, capable d'accueillir 800 spectateurs.

Mai 68 arrive et la Maison de la culture s'implique dans le mouvement. Deux cent cinquante interventions culturelles ont ainsi lieu dans les usines occupées. Un tel élan continue après les « Evènements ». C'est ainsi qu'ayant rencontré André Benedetto, Bernard Mounier lui propose le 2 mars 1969 le projet suivant : « Tu arrives au Havre, tu réagis, tu écris une pièce et vous venez la créer la saison prochaine. » Sitôt dit, sitôt fait. Le 9 mars 1970 verra ainsi la création d'Emballage salle Franklin, qui reçut un accueil très mitigé de la part du public ouvrier qui était celui de la Bourse du Travail.

Dans les années suivantes, la Maison de la culture prend véritablement toute sa place dans le paysage havrais. « Nous voulions aller « vers » et faire « avec ». Nous naviguions à l'estime, au coup de cœur. Nous avions pour nous la curiosité, le désir de transmettre, l'envie de surprendre. Et la permission de l'audace, car nous avions le privilège que personne n'ait rempli ces responsabilités avant nous. »
Et Bernard Mounier de proclamer : «(…) Nous avons su écarter le mythe de la culture pour tous au profit de la culture partagée peu à peu par le plus grand nombre. ».

1975/1989En 1975, il part sur ce constat réconfortant, mais Georges Rosevègue, le nouveau directeur, va avoir à gérer un tout autre défi. Celui de la création de la nouvelle Maison de la culture, dont les travaux sont terminés en 1981. On ne l'appelle alors pas encore le Volcan. C'est Oscar Niemeyer, l'architecte de Brasilia, qui en est le maître d'œuvre.
Comment ne pas être frappé de ce souvenir du directeur ? « Je rappelle que pas moins de trois campagnes de pétitions ont été menées de 1973 à 1980. De 7 000 à 12 000 signatures ont été recueillies pour la construction de la MCH. »
La période inaugurale se clôt de manière splendide par le Napoléon d'Abel Gance restauré dans sa version d'origine et accompagné d'un orchestre symphonique qui rencontre l'enthousiasme des 1200 spectateurs présents.
Avec sa grande salle de spectacles, sa plus petite salle modulable et son cinéma l'Eden, fermé en 2009, le Volcan pouvait accueillir toutes sortes de spectacles. Il ne s'en priva pas. Il est important de s'en souvenir en cette période de restructuration où le petit Volcan va laisser place à une médiathèque.

Une nouvelle ère s'ouvre dans les années 1980 pour la MCH.
Ces années novatrices voient également, toujours sous la direction de Gérard Rosevègue, la mise en place de la convention « pour un développement artistique et culturel avec le monde du travail ». La MCH noue « des relations privilégiées avec les organisations syndicales, les militants syndicaux, les élus des comités d'entreprise et les adhérents de Tourisme et Travail.»
L'action culturelle soutenue par la volonté de démocratisation est multiforme : l'Unité-Cinéma, l'Unité-jeunes publics, l'action culturelle décentralisée.

1980/2011Par la volonté de Jack Lang, alors ministre de la culture, de nommer des artistes à la tête des grands établissements culturels, la MCH a accueilli à sa direction un artiste, originaire du Chili, secondé par l'administrateur Jean-Luc Larguier de 1985 à 1989.
Raoul Ruiz était un artiste toujours en recherche, un homme d'invention toujours en action, dans tous les domaines. Ainsi pendant son séjour au Havre, il réalisa plusieurs films, prouvant ainsi que la Maison de la Culture du Havre pouvait être un lieu de création cinématographique internationale et que le cinéma, art majeur, faisait bien partie de sa vocation comme l'avaient voulu ses fondateurs.

L'activité créatrice de Raoul Ruiz ne se limita pas au cinéma. Homme d'invention, il sut lier avant tout le monde, le cinéma et le théâtre. Le public havrais se souvient ainsi encore de la beauté de sa création « La Vie est un songe « d'après le dramaturge espagnol Pedro Calderon, renouvelant la tradition hispanique née au siècle d'or espagnol des pièces liturgiques, les « auto sacramentales ».

En 1990, c'est au tour d'Alain Milianti de prendre les rênes. Lui-même se définit comme un universitaire raté. Il ne fait pourtant guère de doute qu'avant tout, il est un metteur en scène réussi. Et c'est une aventure théâtrale festive et ambitieuse qui emporte les Havrais dans ces années-là.

Le remplacement d'Alain Milianti par Jean-François Driant en 2006 ouvre une nouvelle époque. Comment ne pas être intéressé par le témoignage de l'actuel directeur qui analyse l'influence pesante, mais aussi stimulante, des mutations multiples du XXIème siècle ?

L’association

Quant aux présidents, ils ont toujours joué pleinement leur rôle dans l’association. Il faut souligner que la direction artistique travaille dans le cadre d’un étroit partenariat avec une association de gestion, dont les présidents, élus par le conseil d’administration représentant les adhérents, ont des personnalités contrastées. Ce partenariat est tout à fait original mais parfois difficile.

Au Conseil d’administration du 20 janvier 1962, les discussions sont ardues pour décider des conditions d’adhésion à l’assemblée générale. Compte tenu du nombre d’adhérents, il s’agit de distinguer le « membre titulaire », admis après parrainage et décision du CA, c’est-à-dire « par cooptation », et « l’adhérent », qui ne fait pas partie de l’Assemblée générale.
Le président André Fatras, adjoint au maire du Havre, souhaite que « l’adhérent ne soit pas passif mais fasse la preuve qu’il participe à la vie même de la Maison ».
En 1962, les adhérents étaient 644.
En 1966, Marc Netter se félicitera des 5000 adhérents et lancera : « Oui, la Maison de la culture, c’est son public ! ».

Directeurs et présidents apprennent, même si les relations entre professionnels et militants sont parfois conflictuelles, à mettre en œuvre ensemble des objectifs communs de développement culturel.
A l’Assemblée générale du 30 mai 1963, André Fatras souligne que « la mission de la MDC est d’accueillir tous les milieux populaires. S’ils ne viennent pas assez, il pense qu’il faut sans doute incriminer leur timidité, mais que dans les conditions actuelles, il n’est guère possible de faire plus pour lutter contre de l’indifférence et l’hésitation. »
Le directeur M. Arnould signale que « le pourcentage de public populaire (…) peut être estimé à 10%….Il ne faut pas oublier que nous sommes au niveau de la composition d’une nouvelle réalité culturelle, expérience « pilote.»
Le nouveau directeur Marc Netter, nommé à l’issue de la séparation d’avec le musée, signale à la réunion de Bureau du 21 décembre 1963, que « chaque manifestation a son public particulier. » il propose de chercher les moyens propres à « mélanger » les publics. Le président exprime son appui.

Ville ouvrière, le Havre se veut aussi ville engagée dans le progrès social. Ainsi Albert Perrot, ouvrier et militant syndicaliste chez Dresser, est président de la MCH de 1983 à 1985. C’est l’aboutissement d’un long parcours qui l’amena, entre autres, à mettre en place un stage de formation de militant culturel et à prendre la présidence de Tourisme et Travail, puis celle de Tourisme, Loisirs, Culture.
Yoland Simon de 1985 à 1990, Claudine Lelièvre jusqu’en 2001, Dominique Croizé jusqu’en 2008, vont ainsi, tour à tour, présider le conseil d’administration et y représenter l’assemblée générale, aux côtés des représentants de l’Etat et de la Ville du Havre, autour de la direction.

En 1998, la ministre de la Culture et de la Communication, Catherine Trautmann élabore une charte – pas une loi – des missions de service public du spectacle, confiant aux scènes nationales – dont le label date de 1991 – des missions de service public. Cette charte réaffirme le principe de pluridisciplinarité artistique en demandant aux directeurs de favoriser la diversité artistique ainsi que les partenariats avec les autres structures culturelles de proximité afin d’offrir au territoire une offre culturelle complète et développée et de participer à l’éducation culturelle de la population.

En 2009, la Ville du Havre et l’Etat mettent un terme à la gestion associative, en la confiant à un établissement public de coopération culturelle dirigé par un partenariat étroit entre la Ville et l’Etat, selon la loi d’Yvan Renar du 4 janvier 2002 :

« Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent constituer avec l’Etat un établissement public de coopération culturelle chargé de la gestion d’un service public culturel présentant un intérêt pour chacune des personnes morales en cause et contribuant à la réalisation des objectifs nationaux dans le domaine de la culture. »

Si cette loi remet en cause le statut associatif des maisons de la culture, elle pose clairement les enjeux politiques et affirme le besoin d’un service public culturel, selon l’actuel directeur du Volcan JF. Driant.
Cependant l’association Maison de la culture a refusé de disparaître : fidèle à ses fondateurs, elle réunit toujours des adhérents parmi les publics, autour des ambitions de « la culture partagée » qui ont présidé à son histoire.
Trois de ses représentants siègent au conseil d’administration de l’EPCC, en tant que « membre associé », situation tout à fait originale en France.

La culture partagée au XXIème siècle

Quelle est la place de la culture partagée aujourd’hui. ?.

En effet, que raconte l’histoire de la MCH pour aujourd’hui et demain ? Cela a-t-il encore un sens ? Du sens ?
Où en sommes-nous des enjeux posés par A. Malraux, et en particulier du projet de démocratisation culturelle ?
Quelle culture ? Quelle démocratie ?

Nicolas Roméas, directeur de la revue culturelle Cassandre/Horschamp, analyse où en est le combat pour un service public de la culture. « Le combat « pour un service public de la culture » a été un combat extraordinaire. Il faut le mener à nouveau. »
D’après lui, les périls sont nombreux et graves, aussi bien à l’intérieur du monde de la culture, aliéné par les normes de la rentabilité, qu’à l’extérieur dans un environnement marchand.
Les idéaux pionniers sont des boussoles dans une Europe de la « marchandisation de tout ».

De son côté, le sociologue Jean-Louis Fabiani confronte l’idée de démocratisation à la question des publics. Question récurrente, qui a suscité, et suscite encore, beaucoup d’assertions et beaucoup d’erreurs.
« Il existe une étroite relation qui s’est constituée depuis une quarantaine d’années entre, d’un côté le socle justificatif des politiques publiques, c’est-à-dire l’impératif d’égalisation des conditions d’accès à la culture entendue comme un patrimoine universel et de ce fait partageable, et d’un autre côté le cadre d’interrogation principal de la sociologie, soit la mesure des inégalités d’accès aux biens culturels et l’analyse de leurs fonctions sociales et symboliques dans une problématique de la domination. »
Juger de l’échec ou du succès de la démocratisation nécessite une pensée rigoureuse.
C’est pourquoi la réflexion née de son travail de recherche s’impose pour apprécier le travail des divers acteurs culturels ainsi que ses conséquences en termes de sensibilisation et de production des publics, pendant les cinquante ans de la maison de la culture.
En effet pour lui, « la nécessité de la réévaluation de notre outillage mental s’impose, et elle est de nature à transformer la définition que nous avons des publics et de leurs appétits culturels. »
Enfin, il relève  trois ordres de revendications des créateurs du nouveau théâtre, au début du XXème siècle, mêlant inextricablement esthétique et politique. « Le premier est celui du théâtre populaire, le second est celui d’une réforme de la pratique artistique et le troisième est celui de la décentralisation. »

Pour conclure, l’association a invité le comédien et metteur en scène Pierre Debauche à porter son œil acéré d’artiste sur le XXème siècle de la culture. Pierre Debauche, que les Havrais ont vu avec « Ah Dieu Que la guerre est jolie ! » adapté d’après un spectacle de Charles Chilton, en 1966, replace l’aventure de la MCH dans le contexte de barbarie et de résistance du siècle.

« Ah le beau siècle pour vous raconter la culture et son histoire !
La culture, c’est la conscience partagée d’un progrès possible.
La barbarie, c’est la conscience partagée d’une régression que nul n’avait prévue.
Le XXème siècle serait le siècle des non prophètes. Pas une prévision correcte.
On utilise encore le mot civilisation, mais un siècle qui produit 215 millions de morts pour faits de guerre, j’ai fait le compte, peut-on le dire civilisé ? »

Il rend hommage aux artistes d’ici et du monde qui ont marqué ce siècle. Il juge notre époque. « Les créateurs ont de nouveau une page blanche devant eux pour oser des parcelles d’avenir. »
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’histoire de la maison de la culture et de la culture du XXème siècle est celle de l’amour entre des artistes, des œuvres, et des spectateurs.

Conclusion

Connaître cette histoire permet aux Havrais de se réapproprier une part non négligeable de leur mémoire collective.

L’histoire de la maison de la culture quinquagénaire a été leur histoire, et en même temps celle de l’invention d’un rêveur : la culture est à tous.

Le rôle d’un Etat depuis André Malraux, est de faciliter la rencontre entre l’œuvre d’art et le citoyen : « Rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. »

Si André Malraux croyait au rôle du « choc artistique », l’histoire des équipes de la maison de la culture est celle des stratégies mises en œuvre pour réaliser ces missions. Gaullistes et communistes ont trouvé parfois, au Havre, des terrains d’entente.

L’histoire des militants est celle de spectateurs heureux de se réunir devant des œuvres, et de partager les offres des créateurs, en tant que public actif.
Comme l’écrivait Jean Vilar à Avignon : « Le public d’abord, le reste suit toujours ».
Héritiers des fondateurs, les adhérents de l’association Maison de la culture revendiquent leur amour du théâtre et des arts.

Le président Raymond Charpiot s’interrogeait dans une plaquette sur la construction du Volcan « Qui a dit que la culture était sévère, voire ennuyeuse ? Curieuse conception qui voudrait opposer culture et joie de vivre. Ce besoin fondamental de l’homme est avant tout un plaisir. »

Isabelle Royer, présidente de l’association MCH
Antoine Fiszlewicz, journaliste

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