Yvonne Rainer, Trisha Brown et Lucinda Childs à Paris

Dans Le Monde :
« Elles ont tout fait : performances, spectacles, opéras pour Brown et Childs, films pour Rainer, qui a renoué avec la danse au début des années 2000 après s’être consacrée au cinéma pendant plus de vingt ans.

Très en forme, Yvonne Rainer, 81 ans en novembre, et Lucinda Childs, 75  ans, arpentent toujours le terrain. Trisha Brown, 78  ans, a, elle, après plusieurs AVC, cédé les manettes à ses danseuses historiques. (…)

Le geste, inspiré, profond, de l’autobaptisée « locomotive de l’abstraction » n’en finit pas d’épater. Emouvant, samedi 3 octobre, de voir surgir, à l’horizon de Pantin, sa performance historique Roof Piece (1971), créée sur les toits de Soho, à New York. (…)

Discipline et rigueur 

Cet esprit performatif, ce débordement du geste dansé hors du théâtre, Trisha Brown, la rubber girl passée enfant par la danse classique, les claquettes et l’acrobatie, l’a d’abord musclé l’été 1960 dans les ateliers d’improvisation de la Californienne Anna Halprin. Elle y rencontre Yvonne Rainer qui rêvait d’être actrice avant de tester son premier cours de danse à l’âge de 23 ans et d’être « littéralement prise ». « Une épiphanie il faut bien dire, ajoute la chorégraphe, de passage au Musée du Louvre, le 25 octobre, pour sa nouvelle performance, The Concept of Dust, or How Do You Look When There’s Nothing Left to Move, sur le thème du corps vieillissant. Trisha et moi sommes devenues amies. Il fallait la voir danser  ! Elle pouvait faire des choses incroyables. »

Toutes les deux déboulent à New York pour suivre les cours du maître Merce Cunningham (1919-2009) où elles retrouveront Lucinda Childs, dont la silhouette a été domptée à la barre de l’académisme depuis l’âge de 6  ans. C’est Rainer qui entraîne Childs au Judson Dance Theater. Ce triangle féminin et féministe pointe en force dans le collectif d’artistes devenu, dès 1962, le porte-étendard de la post-modern dance. Qui dit Judson dit : refus des conventions spectaculaires, revendication de l’expérimentation et de l’expérience de soi… Trisha Brown propose dans son solo Trillium (1962) une gamme de gestes « debout, assise ou allongée ». A la fin des années 1960, elle ira danser le long des immeubles, sur les lacs. Lucinda Childs,  dit avoir conservé du Judson « la discipline et la rigueur »….

Bascule esthétique

Quant à Yvonne Rainer, « la plus prolifique et la plus polémique du Judson », selon la critique américaine Sally Banes, auteure de Terpsichore en baskets (Chiron/Centre national de la danse, 2002), elle se risque dans des explorations telles que Three Satie Spoons (1961)….

En 1965, Rainer tape un grand coup sur la table avec le No manifesto. « Non au grand spectacle, non à la virtuosité, non aux transformations et à la magie et au faire semblant, non au glamour… » Une charte qui va planer, dès le milieu des années 1990, sur les propos des chorégraphes conceptuels français de la « non danse » comme Jérôme Bel ou Boris Charmatz. «  C’était très provocateur, à l’époque. C’était surtout une façon de faire place nette », glisse Rainer. (…)

Cette bascule esthétique, Trisha Brown comme Lucinda Childs, qui va collaborer dès 1976 avec Robert Wilson pour Einstein on the Beach, de Philip Glass, la vivent dans un autre registre. Au début des années 1970, elles plongent dans la boîte noire du théâtre. Fini la radicalité et l’inconfort ! Si contrastées soient leurs danses – kaléidoscopique et flexible car bâtie «  sur un traitement démocratique de toutes les parties du corps » pour Brown, plus formelle et minimaliste, enroulée autour du vocabulaire classique pour Childs –, des traits communs les rassemblent. Même appétit de défi, d’envie d’apprendre. Toutes les deux cultiveront des complicités d’exception avec des plasticiens et des compositeurs propulsant la danse comme plaque tournante des autres arts.(…)

Retour de manivelle

Lucinda Childs, elle, a dialogué avec Sol LeWitt pour Dance, en 1979, tourbillon chorégraphique sur des musiques répétitives de Philip Glass. Ce chef-d’œuvre, référence dans son minimalisme exponentiel, a été recréé en 2009 et tourne avec succès. Dans la foulée, Lucinda Childs vient de remonter Available Light (1983), dans un décor de l’architecte Frank Gehry, sur une musique de John Adams. De cette pièce, l’écrivaine Susan Sontag, proche de la chorégraphe, disait en 1983 dans Abécédaire de Available Light que «  le caractère visionnaire du travail de Childs réside en partie dans son rejet de tout cliché, de tout ce qui pourrait rendre le travail disjoint ou fragmenté ». La chorégraphe met actuellement en route un nouveau projet avec Philip Glass, pour 2017.

Les œuvres de jeunesse de ces artistes cartonnent et dopent les nouvelles générations de chorégraphes (…) » extraits

Festival d’automne. Available Light, de Lucinda Childs. Théâtre de la Ville, Paris. Du 30 octobre au 7 novembre. Trisha Brown, Théâtre de Chaillot, Paris. Du 4 au 13 novembre. Chair and Pillow et Pillow Slides, d’Yvonne Rainer. Le CND, Pantin. Du 6 au 8 novembre. Programme Trisha Brown/Twyla Tharp, Ballet de Lorraine, Nancy. Du 12 au 15 novembre. The Concept of Dust, or How Do You Look When There’s Nothing Left to Move ?, d’Yvonne Rainer. MuCEM, Marseille. Le 29  octobre. www.festival-automne.com

 
  • Rosita Boisseau
    Journaliste au Monde
 photo : Frédéric Jouval

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