Un passé montré au présent…

Ca ira (1) Fin de Louis, de Joël Pommerat et de la compagnie Louis Brouillard.

Le passé se perd dans les siècles, il est loin. Son héritage est affaibli. Qui pense encore que des millénaires de royauté plus ou moins divine ont créé chez le peuple l’attachement d’un enfant à un père ? Qui se remémore la devise de Louis XIV, « Supérieur à tous », et les Lois du royaume, « Un seul roi, une seule loi, une seule foi » ? Qu’est-ce qu’une révolution ?

Ici c’est la réunion des Etats généraux, fondant dans la douleur, à force de disputes et d’empoignades, les idées majeures de la démocratie.
Comment mettre au jour les bouleversements de la Révolution pour l’Occident ?
C’est une gageure. Car il ne s’agit pas de monter une reconstitution plus ou moins historique qui dispenserait des connaissances, mais de faire du théâtre.
Joël Pommerat veut rendre sensible le cataclysme qu’est toute révolution.

Cohérent et vivant, le dispositif rompt la séparation scène et salle, comme Ariane Mnouchkine l’avait fait en 1970 avec son 1789. Le public pris à parti avec les comédiens qui y sont disséminés, devient Le peuple : nous inventons ensemble la déclaration des droits de l’homme, l’Assemblée nationale et ses représentants du peuple élus.
Et cet enfantement se fait dans la fureur : tu peux te voir dans les débats, comment tu harangues, comment tu t’opposes, comment tu es pris par l’émotion, comment tu retournes ta veste, comment tu réfléchis !
Au loin en arrière-plan, les bruits des fusils et des canons, les échos des marches et des massacres, la famine, les émeutes, les exécutions expéditives, la Terreur…

Au cours de ces journées nait une figure essentielle de nos sociétés : l’individu. Libre, égal à tous, fraternel. L’ordre est subverti, la hiérarchie est renversée. Les personnages, ce sont les idées. La « révolution » est de celles qui éclatent encore, pour des peuples ou des personnes. L’histoire de la libération d’un sujet qui se met à penser par lui-même.

On ne s’étonne donc pas de la présence dans l’assemblée des Etats Généraux, de femmes, de noirs, d’un ministre dépassé, d’un opportuniste Monsieur Gigart, d’une radicale Madame Lefranc, d’une aristocrate arrogante ironisant sans qu’on puisse stopper son délire réactionnaire. Tous portés par des comédiens exceptionnels !
Seul le roi, Louis, est reconnaissable, figure double : son arrivée sous les projecteurs est celle d’une star adulée par ses fans, son corps est caressé comme une idole consolatrice par une femme du peuple, mais ses doutes, sa pusillanimité sont ceux d’un homme mortel, faible. On pense à l’ouvrage d’Ernst Kantorowicz, « Les deux corps du roi ». Les brèves interventions de la reine suscitent le rire.
Et c’est bien la grâce de ce spectacle : nous revivons les déchirements de l’assemblée, traversée d’idées et de discours inouïs, dans un pays affamé, profondément inégalitaire, poussé à bout, et parfois nous rions.
Nous rions à cause de l’humour de certaines scènes mais aussi de connivence – car les figures et les situations de la révolution nous sont familières – et d’identification : on croit reconnaitre des parallélismes économiques, politiques, sociaux entre les époques.

En fait, ce spectacle s’adresse à chacun de nous. Citoyen qui a peut-être oublié sa naissance et son histoire. Individu qui invente tous les jours sa liberté hors de son aliénation à un Maître.

Isabelle Royer et l’équipe de la Rubrique des spectateurs  réunie le 15 décembre au Chat bleu, Sylvette Bonnamour, Véronique Carliez et Agnès, Blandine Donneau, Annette Maignan, Liliane Lemesle, Catherine Hémery-Bernet.

http://www.histoire.presse.fr/livres/les-classiques/les-deux-corps-du-roi-d-ernst-kantorowicz-01-12-2006-4673

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