Dom Juan au 21ème siècle

DOM JUAN, Myriam Muller / Théâtre de Caen, janvier 2017

Myriam Muller, metteure en scène luxembourgeoise, n’a pas froid aux yeux : elle prend le chef d’œuvre de Molière, Dom Juan, à bras le corps, et se demande : qu’a-t-il  à dire à une femme du 21ème siècle ?

Dom Juan, un quarantenaire fils de famille, pas « beau gosse » mais à la virilité séduisante (Jules Werner), noceur, oisif et dragueur. Massif et musclé, il fait du sport. Son complice Sganarelle est grand, dégingandé, le plus souvent en costume.

Des deux compagnons, Sganarelle semble lui aussi fêtard, jouissant des dérèglements de son maître et admiratif.  Mais il pose un regard lucide,  amusé ou ironique, sur les situations dans lesquelles il est entraîné. Merveilleux Valéry Plancke ! On rit de bon cœur quand il veut en remontrer à Dom Juan sur le Dieu créateur des merveilles du monde et de sa carcasse…C’est lui qui ouvre la pièce, lui qui la clôt. Dans le fond, il est l’Ami, et ses dernières paroles prennent tout leur sens de chagrin : « Il n’y a que moi seul de malheureux »

Les comédiens sont formidables. Pas une phrase qui n’ait sa nécessité, sa justesse. Car Myriam Muller les prend au sérieux. Les tirades célèbres, de la fidélité, de l’hypocrisie, de la vertu, du pur amour d’Elvire, en sont vivifiées par une appropriation réfléchie des comédiens.

Un loft où sont éparses des traces d’une nuit de fête : alcool, musique techno et petites pépées…. Ce décor a toute sa justification dans une scène des paysannes joliment actualisée, discothèque  avec boule à facettes, musique à fond, danse et orgie générale…Pierrot, drôle et adorable Gusman Renelde, amoureux, dépassé. Trompées par les promesses de mariage de Dom Juan mais pas victimes pour deux sous, Charlotte (Caty Baccega) et Mathurine (Delphine Sabat) sont naïves certes, mais prêtes à tout pour s’amuser.

C’est dans sa baignoire que Dom Juan écoute sa mère, grande aristocrate, le traiter de « monstre » pendant son sermon sur la vertu. L’idée de remplacer Dom Louis par la mère ? On réentend le texte. Et il ne s’agit plus d’un échange entre hommes mais du plaidoyer d’une mère atteinte dans sa chair par la vie dissolue de son fils « J’ai souhaité un fils avec des ardeurs nonpareilles… » Ce choix accentue la dépendance du fils, matériellement et psychologiquement, et  inscrit son rapport aux femmes dans une guerre de domination.

Et Dieu dans tout ça ?

Son bon vouloir, sa liberté, sont pour Dom Juan, noble endetté, profitant de la supériorité de sa classe, les seules lois qui vaillent, la notion d’honneur l’ennuie et les limites que tous cherchent à lui imposer lui sont insupportables. Sa réaction dans la scène V de l’Acte IV est significative : « – Ah, monsieur, vous avez tort. –J’ai tort ? – Monsieur…- J’ai tort ? » Il se jette sur lui, hors de lui, et l’agrippe violemment par sa veste.

Dom Juan est courageux et n’aime rien tant que se battre,  tuant le Commandeur, qui erre en fond de scène, dandy en costume blanc, fantôme vaguement menaçant,  et tirant l’épée au secours des frères d’Elvire ou  contre eux.  

Dans cette mise en scène, il meurt de l’épée de Dom Carlos. «  Si vous m’attaquez, nous verrons ce qui en arrivera ». Pas de Deus ex machina. Car Dom Juan est un sceptique que rien ne peut convertir, et surtout pas les superstitions de son valet ou les préceptes de l’Eglise. Le Pauvre est incompréhensible. Les références de sa mère et d’Elvire au Ciel tout autant. Le miracle du Commandeur acceptant à dîner est pour lui une illusion suscitée par « un faux jour » ou  « quelque vapeur », et la « poltronnerie » de Sganarelle l’enrage. « Rien n’est capable de m’inspirer de la terreur. »

Mais toute la société s’est levée contre lui, il est désormais trop tard.

« Les agissements de Dom Juan sont ceux de tous ses pairs et le reflet d’une société en crise qui positionne ses envies et désirs personnels avant tout. Mais Dom Juan n’est pas uniquement cela. C’est aussi un homme qui bat en brèche toute morale établie, remet en cause l’ordre bourgeois et les idées reçues. Il défie Dieu et ce faisant, on pourrait dire qu’il devient une sorte de pionnier… » écrit Myriam Muller dans ses Notes à la mise en scène.

Pour nous, nous lui savons gré de ce Dom Juan.

Isabelle Royer

 

 

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