Pourquoi monter un Lohengrin aujourd’hui ?

En 1891 le Théâtre des Arts de Rouen a proposé 26 représentations de l’opéra en 3 actes Lohengrin de Wagner, grand succès après son échec à Paris en 1887.
Auditeurs d’Eric Douchin insistant dans sa présentation, la veille au musée Malraux, sur le leitmotiv du Graal que nous pourrons suivre tout au long de l’œuvre, plusieurs adhérents de notre association MCH l’ont vu dimanche 17 mai 2015 à 15h, sous la baguette de Rudolf Pielmayer, dans une mise en scène de Carlos Wagner.
Dans un pays sur le pied de guerre, un mystérieux chevalier vient défendre une héritière du trône, Elsa, injustement accusée, devant le roi Henri, du meurtre de son frère Godefroi par un couple d’arrivistes Frédéric et Ortrud. Elsa, épouse de son sauveur, ne doit pas l’interroger sur son identité, sous peine de le perdre.

Après le Prélude – 75 mesures : « une sorte de formule magique », écrit Liszt, émerveillé – le lever de rideau révèle le décor, décevant pour certains spectateurs.
Une bibliothèque, un tribunal, un parlement, daté XXè siècle ? Des gradins, de vieilles machines à écrire, des étagères, des boites débordant de dossiers. Des « secrétaires », uniformes et passablement agités parfois, à lancer leurs feuilles à tout va ! Pouvant se transformer en soldats aussi bien. Dans un pays en guerre. Des couleurs en beige, brun, vert de gris…
L’étonnement nait de l’apparition lumineuse de Lohengrin tout vêtu de blanc, au costume d’un autre temps. Le ténor russe Viktor Antipenko révèle assurance guerrière et onctuosité : de quoi séduire ! Lohengrin est-il un chevalier sorti d’un autre monde, un Messie ? Un super-héros de comic ?
Elsa elle-même, Barbara Haveman, sera presque du début à la fin couverte d’un manteau (d’homme ?) informe, trop grand pour elle, dotée parfois d’un comportement enfantin. C’est dire que nous sommes loin de la « geste arthurienne ». Sa voix de soprano semble dans la première partie manquer de corps, jusqu’à ce qu’elle pose la question fatale à son époux.
Le personnage d’Ortrud vindicative et avide, joué sans concessions par la soprane Janice Baird, pose le problème de la guerre des dieux : Wotan contre Dieu. Elle chante avec force la réussite de sa vengeance avant sa mise à mort sans autre forme de procès au dernier acte,
Lohengrin, fils de Parsifal, s’éloigne vaincu, le manteau blanc taché du sang de Frédéric, alors que le cygne, le futur roi Godefroi, est bien faible dans les bras de sa sœur Elsa.

Le thème du serment qui lie et tue et de l’interdit, est cher à Wagner. Plusieurs mythes sont évoqués. Eric Douchin cite Sémélé transgressant l’interdit, foudroyée par la gloire de Zeus que nul ne peut regarder en face. Il pense aussi à la chute dans la Genèse autour de l’arbre de la connaissance dans l’Eden. Nous pensons à Barbe bleue. C’est le merveilleux qui se joue des logiques dans ce monde aux apparences d’ordre.

Lohengrin est un être qui, d’emblée, n’a pas sa place dans ce monde. Certains voient dans la mise en scène une allusion au nazisme ou un ordre totalitaire. Un monde bureaucratique sans aucun doute. La grâce ne peut y advenir, malgré la forte envie générale d’y croire. Ni un sauveur messianique venu de loin : l’illusion, même récurrente, est trompeuse.
Nous croyons reconnaitre le thème de l’amour dit « absolu », inconditionnel, sans doutes ni questions, alors que chaque amant recèle une part de mystère irréductible.

Et l’art ? Wagner lui-même donne des indications sur son héros : « Je mets le doigt ici sur l’aspect principal du tragique dans la situation de l’artiste véritable face à la vie du présent, la même situation à laquelle j’ai donné sa forme artistique avec le sujet de Lohengrin : le désir le plus contraignant et le plus naturel de cet artiste est d’être accepté et compris sans réserve par le sentiment ; et l’impossibilité – provoquée par la situation de l’art dans la vie moderne – de rencontrer ce sentiment sans préjugé ni doutes »…Au temps de la bourgeoisie du XIXème siècle, les Romantiques affirment que l’artiste est « maudit ». Et aujourd’hui dans nos sociétés, quelle est sa place ?

C’est dire que nous avons été emportés dans les 4 heures du spectacle par la pluralité des lectures de cet opéra, suscitée par le livret rédigé par Wagner lui-même et la mise en scène. Reconnaissons aux solistes, au chœur Accentus, à l’orchestre et à son chef, l’art de nous transporter dans cet imaginaire wagnérien et surtout de nous offrir la découverte d’un moment de musique extraordinaire !
Isabelle Royer

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