Photographes, quelques instantanés. Vivian Maier

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Aujourd’hui, tout le monde est photographe. Et pendant les vacances, les photos se multiplient comme baigneurs sur la plage. Le plus grand nombre de clichés apparaîtront d’abord sur le petit écran d’un portable, puis on les fera défiler, comme on tourne les pages d’un livre d’images. Les séries de photos qui n’ont plus besoin d’être développées avant d’être découvertes, sont doublement instantanées : aussitôt faites, aussitôt vues. Et ça sans modération. Tout peut-être le sujet d’une photographie et les plus glorieuses, les plus belles, les plus drôles, et avec un peu de chance, les plus impressionnantes, iront se montrer sur les réseaux sociaux.
Le roi des photos de vacances, c’est tout de même le selfie. C’est lui qui permet d’immortaliser sans cérémonie les visages réjouis d’une réunion de famille, ou bien qui permet de poser en une seconde avec quelqu’un qu’on ne reverra peut-être plus. 
Mais comme toutes les modes qui deviennent banales au bout d’un moment, le selfie commence à prendre d’autres chemins et le dernier est celui de l’art. De plus en plus de personnes prennent des selfies dans les musées. Certains établissements qui interdisaient les photos à l’intérieur de leurs murs, ont dû céder, après un bras de fer qui a duré plusieurs années. En mars dernier, le Musée d’Orsay, à Paris, qui était le plus acharné à refuser l’usage de la photo à ses visiteurs, a rendu les armes. A nous de poser en compagnie de l’autoportrait de Van Gogh ou devant un paysage exotique du Douanier Rousseau. Mais il y a davantage : cette pratique a été validée par le monde de l’art, et déjà plusieurs expositions y sont consacrées. Un livre a été publié, intitulé : Artselfie.
L’art selfie, c’est vous et en plus… c’est de l’art.
D’autant que beaucoup d’artistes, et cela depuis le 19eme siècle ont pratiqué l’autoportrait qui est l’autre mot ( le vrai ? ), pour « selfie ».

1908

Au moment où se déroulent les Rencontres de la photographie à Arles, où pas moins de 25 lieux d’exposition sont visibles dans la ville, la figure du photographe, elle aussi, est en pleine lumière. Et certaines sont plus intrigantes que d’autres. Un personnage, par son histoire, son parcours de photographe et de femme, pose question et reste énigmatique. Il s’agit de Vivian Maier. Née à New York, en 1926, elle part pour la France avec sa mère, vers 1930. En août 1938, elle est à bord du Normandie, entre Le Havre et New York. On perd sa trace. En 1956, elle est à Chicago. Son travail : bonne d’enfants. Vivian Maier passe ses jours de congé à photographier Chicago. Seule. A part ses employeurs et les enfants dont elle s’occupe, elle semble n’avoir aucune autre relation. Elle n’a ni famille ni amis.

vivian maier

Personne n’aurait eu la moindre idée de son existence, si un jour de 2007, un américain, John Maloof, n’avait acheté aux enchères, un lot de trente mille négatifs, des dizaines de rouleaux de pellicule et quelques tirages, l’ensemble datant des années 1950-1960. De très beaux clichés, noir et blanc, remarquables, dignes des plus grands artistes, mais sans qu’on puisse savoir qui les a réalisés. C’est grâce à une vieille enveloppe trouvée au fond d’un des cartons, que John Maloof, un an plus tard, apprend le nom de Vivian Maier, photographe amateur. Sur ses clichés, on y voit la rue parce que c’est là qu’elle exerce son passe-temps : des scènes d’enfants en train de jouer, des passants, des mendiants, des portraits d’inconnus. Et des autoportraits. C’est ainsi que nous connaissons le visage de Vivian Maier mais quasiment rien de ce que fut son existence jusqu’en 2009, où elle disparut avant que John Maloof ait pu la rencontrer.
Cependant, affronter l’acheteur de ses photos, l’aurait-elle souhaité ? Elle qui avait abandonné des années de sa vie, sous forme d’images, reflets de sa solitude et de sa passion.

Depuis, beaucoup d’expositions, d’ouvrages, d’articles ont été consacrés à Vivian Maier, ainsi qu’un film de John Maloof et Charlie Siskel.
Voici ce qu’écrit à son propos, Anne Morin, commissaire de l’exposition Vivian Maier –  Chroniques américaines –  en octobre 2016 :
Pendant son temps libre, Vivian Maier photographiait la rue, des gens, des objets, des paysages ; en définitive, elle photographiait ce qu’elle voyait, tout simplement, abruptement. Elle a su retenir, pendant une fraction de seconde, son temps. Elle a raconté la beauté des choses ordinaires, cherchant dans le quotidien, dans le banal, les fissures imperceptibles, les inflexions furtives du réel.
Son monde c’était les autres, des inconnus, des anonymes, que Vivian Maier effleure le temps d’une seconde, de sorte que ce qu’elle mesurait avec son appareil photographique, était d’abord un rapport de distance, cette même distance qui faisait de ces personnages, les protagonistes d’une anecdote sans importance. Et même si elle osait des cadrages impérieux, déconcertants, Vivian Maier reste au seuil de la scène qu’elle photographie, voire au-delà, jamais en-deçà pour ne pas en être invisible. Elle prend part à ce qu’elle voit, et devient elle aussi sujet.
Les reflets de son visage, son ombre qui s’allonge sur le sol, le contour de sa silhouette, se projettent dans le périmètre de l’image photographique. Vivian Maier réalise de nombreux autoportraits tout au long de ces années avec l’insistance de quelqu’un en quête de soi-même. Elle cultivait une certaine obsession, moins pour l’image en soi que pour l’acte de photographier, pour le geste, comme un accomplissement en devenir. La rue était son théâtre et ses images un prétexte. (…)
Nous voyons le monde à travers son regard, et ses images nous racontent, par bribes furtives, cette personne mystérieuse qui restera à jamais une énigme.

VM

Pourtant, tout le monde n’est pas amateur de photographie. Voici ce qu’en pensait Kafka en 1921:
(…) est-ce que vous croyez que l’insondable réalité, (…) que cette réalité qui se dérobe sans cesse, nous allons désormais l’atteindre en appuyant simplement sur le bouton d’un mécanisme de quatre sous ?… J’en doute. Cet appareil automatique ne représente pas un perfectionnement de l’œil humain, il représente uniquement une vertigineuse simplification de l’œil de mouche. 

Etonnante comparaison, mais  c’était en 1921 et puis… c’était Kafka
CD
Vases communicants MCH/Ouest Track Radio :
 Pour ceux qui ont écouté, le dimanche 20 août, à 11 heures, sur #Ouest Track Radio (95.9),  10 mn Chronique!  dans l’émission Viva Culture ! vous avez entendu des extraits de : La joconde par Juliette ; Photograph par R.E.M. ; C’que c’est beau la photographie par Les frères Jacques.
#Ouest Track Radio peut être écoutée en podcast.

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