Ceux qui ont le plus de contacts réseaux sont aussi ceux qui ont le plus de relations dans la vie réelle.

Le sociologue Roger Sue est ­professeur à l’université Paris-Descartes – Sorbonne, et membre du Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis). Il est aussi président du comité d’experts du réseau associatif Recherches & solidarités. Dans son dernier livre, La Contre-Société (Les liens qui libèrent, 250 p., 17 €), il explique ­notamment que l’explosion d’Internet et des réseaux sociaux est la conséquence de l’associativité dans la société.

Dans votre dernier essai, vous ­affirmez que c’est le lien associatif qui est à l’origine des profondes ­mutations de la société : de la multiplication des plates-formes numériques à la fragmentation du travail. N’est-ce pas l’inverse ?

Non. L’histoire industrielle montre que les technologies ne s’imposent jamais par hasard. Les tiroirs débordent de technologies qui n’ont jamais fonctionné, car elles ne correspondaient pas à des aspirations ou des besoins sociaux suffisamment ­développés.

La technologie Internet elle-même dormait un peu depuis une cinquantaine d’années. Elle avait été développée pour des raisons militaires et, tout d’un coup, elle émerge, embrase et sature un marché en très peu de temps, alors que c’est une technologie nouvelle, complexe et qui coûte cher. Et tout flambe, car le média met en relation les gens sur la forme, sur le mode dans lequel ils souhaitent échanger : le réseau, autrement dit l’associativité.

Le réseau est une conception ancienne. (…) Ces réseaux sont nés de l’idée qu’il fallait associer les gens dans un territoire avec les infrastructures. Cette pensée ­dérive de l’associationnisme. Aujourd’hui, il y a une sorte de ­réplique de cette idée de réseau qui se fait différemment, car le rapport social a changé, et qui a développé un média qui lui ressemble : Internet.

En quoi le rapport social s’est-il ­modifié ?

Actuellement, la composition du rapport social est totalement inédite et ­redéfinit la sociabilité autour de quatre termes : l’individualité, la singularité, l’égalité et l’altérité. Le siècle des Lumières a vu naître la notion d’individu par ­similarité. Aujour­d’hui émerge une autre forme d’individu par singularité. Sous le même mot les réalités sociales sont différentes. L’individualité n’est pas opposée à la ­socialité, bien au contraire, elle ne se développe qu’à proportion de l’altérité. Proudhon le disait déjà, on n’est jamais individu qu’à proportion des cercles de relations que l’on a. Cette socialité élargie n’est pas que numérique ou ­réseau social. Ceux qui ont le plus de contacts réseaux sont aussi ceux qui ont le plus de relations dans la vie réelle.

Cette socialité élargie a amené un nouveau regard sur l’égalité. La relation d’égalité de principe (et non de fait) est beaucoup plus forte. Tout le monde se prend pour quelqu’un, se pense dans la singularité. D’où un ressenti des inégalités beaucoup plus fort : de nos jours, elles sont insupportables bien qu’elles se soient réduites. Ce nouveau principe est plus fort, car non plus basé sur le matériel mais sur l’existentiel. L’ego fait l’égalité. L’affirmation de l’individu renvoie à des principes d’égalité. C’est la notion d’individu relationnel que j’ai théorisée. Et cette recomposition des liens sociaux est vécue dans toutes les sphères de la société.

Quel y est le rôle des associations ?

L’engouement pour l’association est porté par l’associativité qui le motive. Le nombre d’associations est en progression quasi verticale. Dans les années 1960, on en comptait 450 000, créées au rythme de 40 000 par an. Il s’en crée aujourd’hui près de 70 000 par an [d’après le Journal officiel, en 2015, 71 031 associations ont vu le jour] pour un total de 1,3 million. Les ­associations sont plébiscitées. En termes d’emploi, elles ont toujours produit 1,5 fois plus que le secteur marchand. Et il n’y a jamais eu de véritable recul, malgré le fait que les subventions ont baissé.

On ne peut pas comprendre cet engouement sans voir, derrière, l’associativité qui le motive. Les formes d’engagement ont changé. Il y a une horizontalité plus grande du rapport social et de la société. On retrouve une sorte d’isomorphisme entre l’associativité, le réseau associatif et la technologie Internet. Pas de haut, pas de bas, chacun peut être émetteur, sur le mode de l’horizontalité, pour le pire et pour le meilleur.(…). Internet est une métaphore technologique du lien social.

Qu’est-ce qui a provoqué, selon vous, le big bang qui a fait du lien associatif le moteur du XXIe siècle ?

Une rupture qualitative et une accélération extraordinaire qui sape toutes les verticalités de notre société.

L’origine n’est pas la technologie ?

Non. La technologie à elle seule ne permettrait pas une telle révolution. Et elle n’aurait pas pris comme ça. L’usage du ­téléphone mobile s’est banalisé en quinze ans. Il a fallu cinquante ans à la ­télévision, cent cinquante ans à la presse. Il est inimaginable qu’on ait pu saturer un marché avec les mobiles sans qu’il y ait eu une appétence sociale, une volonté de faire une société relationnelle, avec toutes les difficultés liées au monde des associations, qui n’est pas un monde de Bisounours.

Quelle est l’étincelle de ce big bang ?

A la prégnance du relationnel se sont ajoutés deux autres éléments sociologiques qui expliquent la nouvelle composition du rapport social : une élévation du niveau culturel de l’information et une ­réduction du temps de travail, qui à l’échelle d’une vie représente moins de 10 % de ­notre temps.(….)

Ce que les gens réclament aujourd’hui, c’est le retour à la citoyenneté.

 Anne Rodier
  • Journaliste en charge de l’emploi et du management, Service Economie, et responsable du semestriel Le Monde-Campus

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/10/18/le-lien-associatif-est-a-l-origine-des-mutations-de-la-societe_5015950_3224.html#AopodKSlJvTrwHw7.99

 
http://www.recherches-solidarites.org/media/uploads/la-france-benevole-2016.pdf
 
 

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