Non, les minorités accueillies sur un territoire ne sont pas des menaces.

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Dans Les Suppliantes, pièce de guerre traduite par Olivier Py , vue à La Chartreuse d’Avignon, Eschyle fait dire à ses personnages que les étrangers suscitent peur et méfiance et que demander l’asile est délicat. Vision prémonitoire !

Dans le journal Le Monde, le sociologue Stéphane Dufoix analyse la méfiance envers les diasporas et démonte le syllogisme suivant : Les diasporas font partie de la mondialisation. La mondialisation menace les Etats-nations et leur souveraineté. Donc les diasporas menacent les Etats-nations et leur souveraineté. (…)

D’une part, qu’est-ce qu’une diaspora ? Initialement religieux, longtemps limité au seul peuple juif, le sens du mot se transforme au cours du XXe siècle pour progressivement désigner les fractions d’un peuple vivant en dehors des frontières « naturelles » ou « historiques » de ce dernier (la diaspora kurde ou chinoise), ou encore la localisation d’une de ces fractions (la diaspora malienne en France).

La charge négative du terme appliqué aux seuls juifs avant la fondation d’Israël ou à d’autres nations sans Etat a disparu au profit d’une version positive, où diaspora ne signale plus la perte mais, au contraire, le lien entre un référent d’origine (une terre ou un Etat) et les fractions disséminées de ce peuple. De la sorte, ce qui se multiplie avec la mondialisation, ce ne sont pas les migrations – contrairement aux apparences, nous ne vivons pas à l’époque où les gens se déplacent le plus en proportion de la population mondiale, notamment par rapport à la fin du XIXe siècle – mais la capacité de conservation ou de recomposition du lien en dépit de la distance.

Ensuite, en quoi la mondialisation menace-t-elle la souveraineté des Etats-nations ? Il s’agit en l’occurrence de l’interprétation la plus courante de la mondialisation, celle qui émerge à partir du début des années 1990, et selon laquelle la forme stato-nationale, caractérisée par la coïncidence entre un territoire, une population et une administration, ne serait en aucune manière adaptée au nouveau régime des flux (de capitaux, d’informations, de personnes). (…)

La sociologue américaine Saskia Sassen a, en revanche, présenté une interprétation beaucoup plus convaincante : la mondialisation – notamment sous sa forme de dérégulation économique – n’est ni un processus contre ni un processus sans les Etats, car elle est en grande partie la conséquence de décisions étatiques – nationales ou internationales – de libéralisation des échanges. L’Etat se compose de secteurs nationaux mais aussi de secteurs largement globalisés profitant de la mondialisation.

Enfin, les diasporas saperaient la souveraineté territoriale en raison de leur caractère transnational et de leur déterritorialité. Elles organiseraient entre les frontières des liens empêchant une bonne intégration des populations étrangères et de leurs descendants au sein de la société nationale. (…)

Pourtant, considérer que les diasporas fragilisent la souveraineté nationale est une vision largement simpliste de la réalité, notamment parce qu’il s’agit d’une vision territorialo-centrée de la réalité, dans laquelle le territoire national est encore largement considéré comme un conteneur identitaire, politique, économique et social borné par des frontières qui le distinguent d’un extérieur potentiellement hostile et, dans tous les cas, susceptible de venir dissoudre l’unité interne.

Davantage de doubles citoyennetés

Dans la plupart des pays, la présence sur un territoire de minorités considérées comme non assimilées parce qu’elles conservent leur langue, leur culture, leur religion, voire leur nationalité, donne lieu au soupçon, à la méfiance ou à l’hostilité. De fait, ces types de réaction à la présence de l’Autre ne constituent en rien une nouveauté, surtout en des périodes où l’incertitude structurelle est forte – guerres, révolutions, crises. L’historienne Sophie Wahnich a bien montré que la survenue de la guerre contre la coalition européenne au début des années 1790 a fortement modifié la relation aux étrangers vivant alors en France, y compris à ceux qui avaient épousé la cause de la Révolution.

Par ailleurs, la loi française du 7 avril 1915 sur la dénaturalisation des sujets ennemis – à laquelle il a constamment été fait référence dans les débats récents sur la déchéance de nationalité – se présentait comme une réaction à l’article 26 de la loi allemande du 22 juillet 1913, dite loi Delbrück, dans lequel le Reich autorisait un sujet allemand à ne pas perdre sa nationalité en cas de naturalisation dans un autre pays.

Alors, rien de nouveau ? La tendance à saisir les populations étrangères sur le territoire comme des métastases ne serait donc en rien modifiée par notre vision d’un monde globalisé ? Bien sûr que si, mais d’une manière bien plus complexe qu’on ne l’imagine généralement. Il est exact que l’extraordinaire accélération des capacités technologiques à réduire le temps nécessaire à la transmission d’informations a permis de maintenir la communauté d’esprit sans la communauté de sol. Il est tout aussi exact que, depuis une trentaine d’années, les Etats tolèrent de plus en plus la double nationalité, ce qui est aujourd’hui le cas d’environ 70 % d’entre eux.

(…)En 2004, Samuel Huntington écrivait, dans Qui sommes-nous ?, que les diasporas, en particulier hispanophones, mettent en danger le credo américain anglo-protestant. Bien souvent, les diasporas qui « posent problème » sont ainsi celles du « Sud », des pays non occidentaux, car elles représentent une menace pour l’identité nationale mais aussi, plus généralement, pour la civilisation.

Des politiques « diasporiques », même en Occident

Cependant, encore une fois, cette vision est hypermétrope. Certes, on observe, depuis trois décennies environ, une transformation des régimes d’attention portés par certains Etats dits du Sud à leurs ressortissants, voire à leurs ressortissants d’origine. A la fin des années 1970, la mise en œuvre par la Chine d’une politique d’incitation des émigrés chinois à investir sur le territoire a fait des émules. Le fait qu’environ 70 % de l’investissement direct étranger en Chine proviennent désormais de cette source – ce qui représentait 72 milliards de dollars (65 milliards d’euros) en 2005 – n’y est pas pour rien, et des Etats comme l’Inde se sont empressés, dans les années 1980, d’imiter le cas chinois.

Il est tout aussi vrai que les diasporas peuvent jouer un rôle de relais du gouvernement de leur pays d’origine afin d’influencer la politique étrangère du pays d’accueil, notamment dans les régimes où le lobbying est légitime. Si l’on évoque souvent le lobby juif américain, l’influence exercée par les lobbys gréco-américain et arméno-américain est tout aussi grande.(…)

Ce sont les diasporas des autres qui peuvent être considérées comme des menaces. En revanche, sa propre diaspora est de plus en plus souvent envisagée comme un atout économique, une force diplomatique ou paradiplomatique, un vecteur d’influence à l’étranger, une manne d’investissements, etc.

De nombreux Etats occidentaux ont pris cette voie. Dont la France. (…)

L’espace et l’identité de la nation reconfigurés

Cette forme d’action publique s’inscrit généralement à l’intérieur d’une reconfiguration de l’espace de la nation et de l’identité nationale, où la diaspora devient un atout et une partie intégrante de la nation. (…)

Enfin, il peut sembler paradoxal de se plaindre de l’organisation de politiques de diaspora par les Etats du Sud, alors même qu’elles font partie des « bonnes pratiques » soutenues par des organisations internationales, telles que la Banque mondiale ou l’Organisation internationale pour les migrations, qui y voient un moyen pour ces Etats d’organiser leur développement économique sur des fonds en provenance de leur diaspora plutôt que sur l’aide occidentale au développement.

Sans une connaissance plus précise des relations complexes par lesquelles les logiques territoriales et transétatiques, non seulement se chevauchent, mais aussi ne constituent en rien la nature des Etats, d’une part, et des diasporas de l’autre, dans une vision où tout se ramènerait à un jeu à somme nulle, nous nous condamnons à continuer de penser dans un monde huntingtonien divisé en civilisations statiques et mutuellement menaçantes.

Stéphane Dufoix.

Stéphane Dufoix est professeur de sociologie à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense (laboratoire Sophiapol) et enseignant à Sciences Po Paris. Membre honoraire de l’Institut universitaire de France, il travaille actuellement à une enquête de sociologie historique sur l’émergence du concept de globalisation.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/festival/article/2016/07/21/les-diasporas-vecteurs-d-influence-ou-de-fragilisation-des-etats_4972718_4415198.html#34DZgy3OMasGFCJM.99

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