Histoire du rire en démocratie

3 ouvrages sur le rire à lire de toute urgence …

La Politique du rire. Satires, caricatures et blasphèmes. XVIe-XXIe siècles, sous la direction de Pierre Serna, Champ Vallon, « La chose publique », 270 p., 24 €.

L’Art et l’histoire de la caricature, de Laurent Baridon et Martial Guédron, Citadelles & Mazenod, 320 p., 49 €.

L’Age d’or du pamphlet. 1868-1898, de Cédric Passard, CNRS Editions, 360 p., 25 €.

Dans le Monde, Pierre Karila Cohen analyse :

 
« (…) et si le rire était, non pas seulement ce que permet la démocratie, au titre de la fameuse « liberté d’expression », mais la base même de son développement historique ? Et si les élections, les assemblées, les journaux, les droits de l’homme, tout cela n’existait que grâce à la capacité de l’être humain à éclater de rire, à apprécier la moquerie, à chérir la subversion ? L’affaire est compliquée, et il a toujours existé des rires du fort contre le faible ou de la majorité face aux persécutés. Mais dans le paysage des démocraties, le rire n’est pas un élément parmi d’autres. Il constitue une manière, apparue à un certain moment, de faire de la politique, sans transcendance ni puissance qu’on ne puisse remettre en question, mais dans laquelle, aussi, un grand nombre de coups sont permis. Coups de mots et de plume, s’entend, ce qui n’est pas la même chose, quelle qu’en soit la violence, que l’horrible usage des armes.
 
Eclosion d’un rire politique
 

C’est l’un à côté de l’autre qu’il faut lire La Politique du rire et L’Art et l’histoire de la caricature. Le premier ouvrage, dirigé par Pierre Serna, historien spécialiste de la Révolution française, est un livre collectif écrit à chaud, juste après l’attentat qui a frappé Charlie Hebdo : La Politique du rire est en effet le résultat d’une journée d’études organisée à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, le 6 février, en réaction au massacre du 7 janvier. Le second, réédition d’un très beau livre d’art, n’est pas inscrit dans la même temporalité de l’urgence : L’Art et l’histoire de la caricature, œuvre des deux historiens de l’art Laurent Baridon et Martial Guédron, intègre toutefois dans sa conclusion le traumatisme laissé par janvier 2015. Il peut servir, en partie, d’illustration graphique à La Politique du rire, qui n’aborde pas que la caricature, mais il vaut aussi et surtout pour lui-même tant le texte est passionnant.

Ce qui relie fortement les deux livres touche à l’importance accordée à la modernité, ouverte par la Renaissance, dans l’éclosion d’un rire politique ouvrant la voie aux systèmes démocratiques. Quelque chose de décisif s’est joué en Occident à compter du XVIe siècle. (…) En 1589, Henri III est le premier roi français caricaturé en animal monstrueux : tous les autres ­suivront jusqu’à la « poire » Louis-Philippe, en passant par le « porc » Louis XVI… Le phénomène est européen et Luther est sans doute l’une des figures les plus attaquées et donc les plus déformées, mais les papes ne sont pas en reste : la guerre des dessins accompagne les égorgements interreligieux, soulignant la présence de la violence au cœur même de la progressive ouverture d’un espace public autorisant la confrontation et la désacralisation indispensables à la démocratie.

Le rire de Rabelais prépare celui de Voltaire

Les textes de l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Serna vont dans le même sens. Aux XVIe et XVIIe  siècles, pamphlets, chansons, placards et charivaris ont accompagné les guerres de religion, soudé les militaires, moqué les prédicateurs. Le rire de Rabelais prépare celui de Voltaire. A cet égard, le parcours de L’Art et l’histoire de la caricature dans le XVIIIe siècle est un régal qui éclaire les liens « entre le rire des Lumières et les aspirations à une société plus juste, plus tolérante et plus ouverte ». La suite n’est qu’approfondissement du lien complexe entre rire et démocratie, avec Daumier et la caricature du XIXe  siècle, à l’âge de la reproductibilité, de l’intensification des circulations internationales et de la lutte contre la censure. Le rire 1900, sur lequel se penche Bergson à l’orée du XXe siècle, est un « puissant vecteur de civilisation républicaine », lit-on dans l’ouvrage de Champ Vallon. Mais, utilisant les moyens de la démocratie, le rire qui s’épanouit contre elle, depuis la Révolution au moins, prospère aussi, comme le montre le remarquable ouvrage de Cédric Passard, L’Age d’or du pamphlet. 1868-1898.

(…) La date de départ, 1868, est celle de l’apparition du journal le plus représentatif du genre, La Lanterne, lancé par Henri Rochefort, dont la personnalité domine la nébuleuse pamphlétaire de la fin du XIXe siècle. A l’image de Rochefort, républicain d’extrême gauche puis socialiste, passé au ­nationalisme de droite antirépublicain et antisémite dans les ­années 1880, le pamphlet s’épanouit à l’extrême gauche comme à l’extrême droite du champ politique, pas toujours avec les mêmes cibles mais avec la même virulence et très souvent le goût de l’insulte. (…)

Passionnante, la lecture de ces trois ouvrages attise notre curiosité vers d’autres rives : ce rire ­politique existe-t-il ailleurs, et comment ? Le dernier article de La Politique du rire entraîne le lecteur sur la place Tahrir pendant la révolution égyptienne de 2011, mais cette incursion intéressante ne suffit pas. Le questionnement sur l’universalité du rire, peut-être l’une des meilleures armes contre les fanatiques, est sans doute l’un des grands enjeux ­politiques de l’avenir.

Dessin de combat

Sous la direction de l’historienne de l’art Emmanuelle Chérel, 303, revue culturelle de la région Pays de la Loire, consacre son dossier d’automne au dessin de presse. Outre des contri­butions, parmi d’autres, de la philosophe Marie-José Mondzain ou de l’historien Pascal Ory, on lira avec intérêt l’article de Guillaume Doizy, critique de l’histoire de la caricature et du ­dessin de presse, sur la circulation mondiale des caricatures dès le début du XXe siècle, notamment à des fins de propagande – preuve que si l’image n’est pas toujours un contre-pouvoir, elle est souvent une arme. Après la guerre, le président Wilson saluera le dessinateur néerlandais Raemaekers comme une des personnalités ayant le plus influé sur le cours du conflit. La ­caricature ou l’art du « dessin de combat ». J. Cl.

  • Pierre Karila-Cohen
    Journaliste au Monde

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/livres/article/2015/11/25/le-parti-d-en-rire_4817335_3260.html#JCxKz32fk5J0HZEd.99

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