Littérature : vérité de la fiction.

31ème salon du livre et de la presse jeunesse en Seine Saint Denis 2/7 décembre

« C’est pour de vrai ou pour de faux ? »

LE MONDE DES LIVRES | • Mis à jour le | Par Marie Pavlenko

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Tous les parents et les enseignants ont entendu, dans la bouche d’un enfant, après lui avoir raconté une histoire, la question suivante : « C’est pour de vrai ou pour de faux ? » Manière de savoir si les ogres ou les super-héros existent en chair et en os, si l’on peut croiser dans la rue telle héroïne dont on vient de suivre les aventures ou si telle situation cauchemardesque est de l’ordre du vécu. Thème central de la 31e édition du Salon du livre jeunesse de Seine-Saint-Denis, cette dialectique est consubstantielle au pacte de lecture. (…) Qui croire ? Que croire ? Autant d’interrogations traversant tous les âges de la vie, mais qui, chez les jeunes, donnent ­parfois lieu à d’amusants ­quiproquos.

La sincérité du ton

(…) En posant la question du réel et du virtuel, les enfants et les adolescents formulent une exigence de vérité. Nathalie Bertin, de la librairie Millepages (Vincennes), avance que c’est peut-être pour cela qu’ils lui réclament des histoires vraies, afin de s’assurer de la sincérité du ton, sans deviner – quoique en l’éprouvant instinctivement – que celles-ci se logent ailleurs, dans l’intimité d’un auteur qui rencontre un écho personnel chez un lecteur. « L’intime touche à l’universel si l’on trouve les mots pour dire et formuler des émotions. » Marie-Aude MuraiI, auteure d’une abondante œuvre pour la jeunesse, confirme : « “Est-ce vrai ?” C’est l’une des premières questions que me posent toujours mes petits lecteurs. » Elle y répond à sa façon, expliquant par exemple s’être inspirée de ses frères pour inventer L’Oncle Giorgio (Bayard jeunesse, 2013) : « Donc, d’une certaine façon, M. Georges existe et ils le sentent. »

La tentative de raccrocher un ­récit à la vie personnelle de son auteur est « une façon de sonder la sincérité de celui-ci et de mieux comprendre le mystère de l’écriture et l’acte de création », estime le romancier Yves Grevet, qui vient de signer l’un des quatre tomes d’U4 (Syros jeunesse/Nathan, 384 p., 16,90 €), une tétralogie retraçant le devenir de plusieurs adolescents rescapés d’un virus mortel, dans un monde apocalyptique. « En entrant dans son histoire, en incarnant chaque personnage, chaque pensée, mais, aussi, chaque élément du décor, chaque détail vestimentaire, chaque branche d’arbre et chaque souffle, l’auteur est dans la vérité, celle de l’instant présent », ajoute-t-il. Du point de vue des romanciers, le faux ne s’apparenterait donc pas à un défaut de réalisme, mais de justesse dans le style – un passage dissonant tirant le lecteur de son hypnose. « La littérature vise à retrouver la sensation du juste, et donc du vrai. Il n’y a pas de faux dans la fiction. L’invention et la création sont un jeu. Or, dans tout jeu, il y a un petit espace différent des lois du monde », souligne l’écrivain Orianne Charpentier (La Vie au bout des doigts, Gallimard jeunesse, 2014).

Telle est également l’opinion de Christelle Dabos : « Ma fiction est vraie, car tout ce que je ressens l’est. Je suis investie dans mon histoire, les émotions de mes personnages sont les miennes, analyse l’auteure de La Passe-Miroir, dont le deuxième tome vient de paraître (lire ci-contre). Je les vis et les transmets. » Et, pour les jeunes, il est parfois plus facile de s’identifier à un personnage imaginaire, y compris le protagoniste d’une dystopie ou d’une allégorie, qu’à un individu réel.

Sentiments ambivalents

« Peter Pan a une dimension symbolique, rappelle Edwige Chirouter, maître de conférences à l’université de Nantes et coordinatrice de la chaire Unesco sur la pratique de la philosophie avec les enfants, que les jeunes sont capables de saisir et dans laquelle ils reconnaissent leur propre expérience. Un récit a toujours plus de force argumentative et de valeur d’expérience qu’une expérience personnelle. » Ils s’attachent à la peur de grandir de ­Peter Pan, peu importe qu’il soit une chimère. « La dimension hyperfictionnelle du récit fantastique est plus à même de faire comprendre le réel, car il introduit une distance », poursuit Edwige Chirouter. D’où la passion des enfants pour les contes et les mythes qui rendent intelligibles des sentiments ambivalents et des sujets complexes, comme Platon l’a fait en évoquant l’anneau magique de Gygès pour expliquer le sens des lois.

Et c’est bien peut-être ce qui fait l’immense richesse des livres pour enfants, cette audace à investir tous les registres sans y perdre en crédit. « Dans la littérature adulte aujourd’hui, on parle surtout d’expériences singulières, remarque Clémentine Beauvais, chercheuse en sociologie et en philosophie de l’enfance à l’université de Cambridge (Royaume-Uni), également écrivaine (Comme des images, Les Petites Reines, Sarbacane, 2014 et 2015). On a perdu cette ambition de vérité universelle. » A laquelle la littérature jeunesse, elle, avec ses héros et ses dragons, ses fermières et ses sorcières, continue de prétendre.

Lire aussi : L’Alice de Lewis Carroll, la muse merveilleuse
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