Les aiguilles et l’opium – C’était au Volcan, les 11, 12 et 13 février.

Pièce de Robert Lepage, texte et mise en scène
Interprètes : Marc Labrèche, Wellesley Robertson III
Scénographie : Carl Fillion

Nous sommes d’emblée dans le spectaculaire. Sur la scène plongée dans le noir, une silhouette fantomatique est apparue, criblée de points lumineux qui ressemblent à autant de cibles. Brusquement elle est happée dans l’infini d’une voie lactée et se dissout. Surgit alors de l’obscurité, tout près des cintres, une autre figure en apesanteur, qui parle d’une voix étrange : « L’homme est occupé par une ténèbre, par des monstres des zones profondes. Il ne peut y descendre mais cette nuit, quelquefois, dépêche des ambassadeurs assez terribles, par l’entremise des poètes. » On comprendra que Jean Cocteau nous parle.
La suite, ce sera l’ histoire fragmentée d’un homme ordinaire, entremêlée et confondue à celles de Miles Davis et de Jean Cocteau. Le lien ? Les amours malheureuses des uns et des autres. Miles Davis séparé irrémédiablement de Juliette Gréco, Jean Cocteau perdant Radiguet, ont trouvé le moyen de combler un vide douloureux en s’évadant vers les paradis artificiels. L’homme ordinaire, abandonné, congédié, n’y succombera pas. Au pire, pour lui, l’aiguille est celle de l’acupuncteur, et les vapeurs de l’opium sont remplacées par l’hypnose. Chacun sa spirale… pour finalement en sortir, abandonner les illusions, les hallucinations. Or, revenir des paradis de l’oubli c’est passer par l’enfer. C’est accepter la perte, sans retour. Pour des artistes, comme Cocteau ou Davis, la création est l’issue vers la guérison. Mais pour le petit homme sur scène ? A la fin, il a cette parole émouvante : « Comment guérit-on sa douleur quand on n’est pas un génie ? » Incarné par Marc Labrèche, tout de simplicité, il est celui que l’on pourrait connaître, il est celui que nous pourrions être. Il est le contraire des deux illustres figures qu’il convoque, et c’est ce contraste qui nous touche. Son nom à lui est Robert.
A ces trois protagonistes, il faut en ajouter un autre de taille. Qui envahit l’espace, l’attention, la dramaturgie. Car les histoires conjuguées des trois personnages, se déroulent au cœur d’une scénographie qui entre en rivalité avec l’acteur et son texte : un cube ouvert sur deux côtés qui tourne sur lui-même selon les scènes, et qui grâce à des projections représente plusieurs lieux : une chambre d’hôtel, un studio d’enregistrement, les rues de New York… Des trappes permettent d’escamoter les accessoires et d’en faire apparaître d’autres. Cette machinerie tant ingénieuse qui provoque d’abord un moment d’étonnement devient vite fascinante. Ce dispositif impeccable de précision domine l’action, sollicite l’attention permanente par ses images, par les textes qui s’affichent. Cet appareil est tantôt démonstratif, tantôt cabotin. Il « parle » trop. Il arrive cependant qu’on oublie les artifices, chaque fois qu’apparaît le personnage muet de Miles Davis (Wellesley Robertson III) évoluant en acrobate à l’intérieur du cube mouvant, ou titubant dans une nuit new-yorkaise. Ou bien lorsque le monologue de Robert, sans artifice, atteint une note vibrante.
Du déséquilibre de l’homme ou de la machine parfaite, c’est sans doute l’imperfection qui fait théâtre.

Catherine Désormière

 

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