« L’Empire du Sultan », exposition au Palais des beaux-arts de Bruxelles

Les relations entre le monde ottoman et l’Europe de la Renaissance : c’est de cela que traite « L’Empire du sultan », sous la forme d’une exposition longue et dense. (…)

La période étudiée s’étend de la chute de Constantinople, en 1453, au début du XVIIe siècle, marqué par l’accord de paix de Zsitvatorok, signé en 1606. L’expansion de l’Empire ottoman en Europe centrale dans la seconde moitié du XVe siècle, le siège d’Otrante en 1480, qui finit en carnage, ceux de Vienne en 1529 et de Malte en 1565 qui échouèrent tous deux, la mort de Soliman le Magnifique en 1566 durant celui de la forteresse de Szigetvar en Hongrie, les ambassades et manœuvres des rois de France cherchant à faire alliance avec la puissance turque pour prendre à revers le Saint-Empire romain germanique, la bataille navale de Lépante en 1571… Autant de dates et de faits qu’il vaut mieux se remettre en mémoire avant de s’engager dans les galeries du Palais des beaux-arts de Bruxelles.

Il n’est pas inutile non plus de réviser ses connaissances artistiques, car le regard va de Dürer à Tintoret, de Hans Memling à Gentile Bellini, des graveurs allemands aux graveurs flamands. Tous, qu’ils s’y soient rendus ou non, ont popularisé en Europe quelques types – le janissaire, le mamelouk, le vizir. Ils se reconnaissent à leur barbe ou leur moustache, leur bonnet ou leur turban, leur vaste manteau ou leur veste courte, leur cimeterre ou leur lance.(…)

Si l’exposition n’apportait rien d’autre que ces collections de guerriers, elle n’irait pas au-delà de l’inventaire iconographique. Or ce n’est pas cela que l’on en retire, ni même la révélation d’œuvres méconnues, d’anonymes ou d’artistes de second rang, qui fixent le souvenir d’épisodes pittoresques, un défilé triomphal après une victoire ou une ambassade montée sur des chameaux – animal encore surprenant vers 1530. Ce qui est le plus remarquable est moins spectaculaire et ne se mesure que par comparaison avec les époques ultérieures et aujourd’hui : ces artistes européens et leurs contemporains considèrent l’Empire ottoman comme une puissance égale, voire supérieure, aux puissances chrétiennes occidentales et leur civilisation comme un monde, différent de celui dans lequel ils vivent, mais un monde complet, organisé, policé, complexe.

Il y a de la curiosité, de l’incompréhension, des approximations aussi dans ces représentations. Il y passe, dans les périodes de guerre, de l’inquiétude, de la peur même. On n’y sent aucun mépris, mais de la considération et, souvent, de l’admiration. Le colonialisme n’a pas encore accompli ses méfaits et habitué l’Occident à se croire supérieur au reste du monde, comme il le fera à partir du XIXe siècle.

Le sultan Soliman, dit le Magnifique, apparaît ainsi comme le souverain d’un Etat strictement administré, d’une prospérité qui autorise les dépenses somptuaires. Il se rend à la prière du vendredi à cheval, entouré d’un cortège digne d’une cour européenne ou d’un empereur romain : le contraire d’un barbare. Ambassadeurs et voyageurs qui visitent la Sublime Porte témoignent de sa dignité, de sa politesse et de sa modération : le contraire d’un tyran. Il forme avec Roxelane, née en Ukraine, un couple dont les doubles portraits gravés circulent en répandant l’histoire de leur amour : le contraire d’une brute.(…)

A plusieurs reprises, l’exposition revient sur cette histoire d’estime, qui est en effet essentielle. Elle rappelle que Luther et d’autres réformateurs en avaient pour les mœurs des Ottomans, qu’ils jugeaient bien plus pudiques et dignes que celles qu’autorisait la dépravation de Rome.

Vers 1570, les « Gueux » flamands aimaient à se dire « plutôt turcs que papistes » et portaient des médailles en forme de croissant quand ils allaient combattre les troupes espagnoles, catholiques. A peine moins surprenants sont ces dessins, allégories des sept « arts libéraux » de l’Allemand Hans Brosamer, qui, en 1521, représente Ptolémée sous les traits et le costume d’un Turc. Ptolémée vivait à Alexandrie et les savants orientaux sont, autant que ceux d’Occident, les héritiers des savants grecs.

Et puis, il y a les soieries brodées d’or et d’argent et les grands tapis. Au plus fort des guerres, leur circulation continue.(…)

Les tapis s’étalent sur la couche mortuaire des nobles hongrois – surtout les protestants –, sur les tables des cabinets de travail des cardinaux romains, dans les appartements des ducs lombards. On les reconnaît dans les tableaux de Lorenzo Lotto ou de Hans Holbein le Jeune comme dans ceux de l’atelier de Hans Memling. Celui-ci les connaît d’autant mieux que les marchands de Bruges en font l’importation, comme ceux de Bruxelles.

« L’Empire du sultan », Palais des beaux-arts, 23, rue Ravenstein, Bruxelles. Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures, le jeudi jusqu’à 21 heures. Entrée : 10 à 12 €. Jusqu’au 31 mai. www.bozar.be

 Philippe Dagen
  • Journaliste au Monde

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/03/30/fascinant-empire-ottoman_4605669_3246.html#BJYIqE9D6Wa2ldl0.99

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