Les archives du dessinateur Willem à la BNF

A-t-on idée de ce que peut ­représenter une vie entière passée à dessiner ? Quand Willem, aidé de son conseiller, ami et biographe Jean-Pierre Faur, a entrepris d’inventorier ses archives dans le but de les céder à la Bibliothèque nationale de France (BNF), le dessinateur est arrivé au chiffre vertigineux de 20 000 originaux – soit plus d’un par jour en moyenne, dimanche compris, sur un demi-siècle de carrière (entre 1967 et 2016). Dessins de presse, planches de bandes dessinées, illustrations, affiches, carnets de voyage, reportages dessinés, autoportraits, inédits jamais publiés… Exhumée des boîtes à chaussures où elle dormait, cette masse de papiers noircis à l’encre de Chine vient de rejoindre le département des estampes et de la photographie de la BNF, aux côtés d’artistes ayant pour nom Daumier, Goya ou Nadar. (…)

«  L’idée de cette acquisition, poursuit-il, est de rendre accessible mes travaux à ceux qui voudraient les consulter, qu’ils soient chercheurs ou étudiants. Et puis, les gens de la BNF en prendront mieux soin que moi.  »

« Divin ordonnateur des blancs et des noirs »

Inédite en son genre, l’opération se serait révélée moins spectaculaire si le dessin de presse n’était pas ce qu’il est : un médium populaire, dont la vocation est d’être imprimé dans des journaux et non d’être vendu à des particuliers. (…)

L’absence de cote de Willem n’ôte rien à la dimension de celui que Georges Bernier, alias Professeur Choron, qualifiait de «  Dürer du XXsiècle  », et que Gébé, ex-rédacteur en chef d’Hara-Kiri puis de Charlie Hebdo, décrivait comme «  multiple, abondant, esthète royal, impérial graphiste, divin ordonnateur des blancs et des noirs, formidable conteur  ». Premier Néerlandais à figurer au palmarès des Grand Prix du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (en 2013), Bernhard Willem Holtrop – son vrai nom – n’aurait jamais pu mettre les pieds à la BNF s’il n’était pas l’un des derniers à incarner une «  certaine  » tradition du dessin de presse.(..)

A l’instar des Vallotton, Jossot, Chaval, Bosc, Topor, Ungerer et autres Sempé, l’ancien élève des Beaux-Arts d’Arnhem (Pays-Bas) actionne en effet une mécanique humoristique basée sur le dessin en tant que tel. Ses cartoons font la part belle aux inventions graphiques, aux traits « signifiants », à des formes mises au service du fond. Une hache posée sur une mâchoire proéminente compose le visage de Jacques Chirac (l’un de ses plus célèbres dessins, datant de la fin des années 1980). La ville d’Alep miniaturisée et flambée est posée sur un plat servi par Vladimir Poutine à Bachar Al-Assad (Libération du 19 février). Du pur Willem, exécuté avec une plume féroce, trempée dans un encrier puisant aux sources de l’expressionnisme allemand.

Un pilier de « Charlie Hebdo »

(…) «  Je ne comprenais rien au français quand je suis arrivé à Paris [en  1968] pour présenter mes travaux, raconte cet ancien chef de file du mouvement underground néerlandais Provo. A cette époque, mon dictionnaire de poche m’accompagnait partout. Je n’avais pas d’autre choix que de faire des dessins qui puissent être compris par le plus grand nombre.  » Willem place alors des crobars dans L’Enragé (fondé par Jean-Jacques Pauvert et Siné), avant d’entrer à Hara-Kiri puis à Charlie Hebdo, qui deviendra « son » journal.

Sa fidélité à l’hebdomadaire satirique sera totale : Willem est le seul dessinateur à avoir traversé les différentes époques de Charlie – 1970-1981, 1992-2009, 2010-2015 – et à figurer au sommaire de tous ses numéros, sans exception. Sa loyauté s’arrête cependant là. L’homme ne participait plus depuis longtemps à la vie du journal, ce qui lui a d’une certaine façon sauvé la vie, puisqu’il n’était pas présent dans les locaux de la rue Nicolas-Appert (Paris 11e) le 7 janvier 2015, quand les frères Kouachi y ont fait irruption. (…)

L’assassinat de Charb, Cabu, Wolinski, Tignous et Honoré n’a pas changé sa façon de travailler – « Même si je suis sans doute plus agressif à l’égard des fous », consent-il. La tentation de tout arrêter, surtout, ne l’a jamais traversé : «  Il fallait continuer à dessiner, pour ceux qui ont disparu, mais aussi pour défendre le métier.  »

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(…) S’il rêve souvent de voyages au long cours, loin des contraintes aliénantes des deadlines, Willem n’a pas pour autant l’intention de raccrocher les crayons : «  Je ­continuerai tant que je ne serai pas gaga. Jusqu’à 100  ans s’il le faut, en tout cas jusqu’à ce que ma femme estime que mes dessins ne valent plus rien. » Ne dites surtout pas à ce titulaire de la carte de presse qu’il est un artiste, il se mettrait à rougir. Lui préfère se définir «  comme un artisan, quelqu’un qui doit faire un petit truc tous les jours, comme le boulanger fait son pain  ».

 
 

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/culture/article/2016/02/24/willem-artiste-enrage_4870951_3246.html#BdqXJmzQTBMQFhAE.99

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