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« Le théâtre n’existe pas » Emile Zola

A propos de l’événement du 13, 14 et 15 novembre 2014 au Lieu unique, à l’ENSA et au Grand T à Nantes

Une série de Tables rondes « Place du théâtre, forme de la ville » présentées par Marcel Freydefont, scénographe et historien d’art, se sont interrogées sur la « disparition » du théâtre

Les théâtres vont-ils disparaître dans la ville de l’entertainment ? Le théâtre peut-il s’ouvrir aux nouvelles pratiques citoyennes participatives ? L’espace théâtral a-t-il un sens à l’ère du numérique ? Le plateau malgré tout ?

En introduction, Robert Abirached pose le problème ainsi : la société a explosé avant qu’on s’en aperçoive, le théâtre aussi. On se demande quand le théâtre a été majoritaire, pas sous la royauté, pas grâce au théâtre bourgeois…peut-être à l’après-guerre, quand les lieux, les formes, les publics se sont multipliés. Pour certains intervenants, la démocratisation du théâtre est un échec. Car on a parfois mélangé des générations, non des milieux sociaux. Evidemment la crise suscite des questions : pourquoi la culture serait-elle la seule à ne pas subir des restrictions ? Que concèdent les artistes aux marchands ?

Cependant aujourd’hui, en analysant finement les chiffres, on peut constater que le théâtre n’est pas si patrimonial, démodé, élitiste, cantonné, onéreux, face aux livres et aux pratiques numériques.

Pour Olivier Mongin, l’expérience théâtrale proposée au spectateur, « homme d’admiration », est forte, car elle crée la possibilité d’un collectif momentané. L’ancien directeur de la revue Esprit s’oppose aux artistes qui voudraient « éduquer l’humanité ».  Ce qui dans le travail de tous au théâtre crée la communauté du public, c’est ce qui importe aussi à Luc Boucris, professeur en études théâtrales. Le théâtre crée un moment où on se rassemble dans une identité, non pour s’enfermer, mais pour « se poser » et entrer en relation avec d’autres. De même dans une société éprise de vitesse, les arts de la scène induisent un temps d’arrêt bénéfique, affirme Béatrice Picot-Vallin, directrice de recherches au CNRS.

Ajoutons que la scène est un outil pour agencer du « symbolique », même si ce terme semble inaudible de nos jours en raison de l’omnipotence de l’argent affectant toutes les valeurs symboliques. Le théâtre est sans doute « en résistance ». Qu’est-ce qui fait scène ? Comment faire scène ? Rendre visible…. Quoi et pourquoi ? Comment ?

C’est Catherine Beaugrand, artiste et chercheuse d’un langage à partir des outils numériques,qui dénonce alors « l’idéologie du rapprochement, de la proximité » : le divertissement (entertainment) veut faire croire que les distances n’existent plus, que le but est plus important que les processus. Or l’artiste, lui, pose la question des processus et de l’adresse. L’art est une relation, non un objet. C’est peut-être le terme d’« hospitalité » qui conviendrait le mieux, pour les deux acteurs, artiste et spectateur.

En effet le théâtre est une expérience « physique », dans son rapport à l’espace, au corps, aux objets, aux spectateurs : c’est une expérience « du vivant ». Aurélien Bory cite Edouard Glissant : « Rien n’est vrai, tout est vivant. » On ne peut pas le remplacer. Par exemple il n’est pas « captable » : sur écran, il devient un film ! D’autant qu’il n’existe que dans le regard du spectateur. Il est finalement l’unique occasion de vivre une expérience dans un temps et un espace « vrais ». Il y a un « plateau » là où il y a un acteur et le regard d’un spectateur.

Peut-être le propre du théâtre est-il de réélaborer constamment la relation entre la scène et la salle. Certains, à l’instar de Rousseau (contre Aristote et la mimesis), veulent abolir la séparation entre les acteurs et les spectateurs, la représentation et la chose, au profit de la « performance » (là où la mort réelle est possible). C’est ce que soutient Jean-Louis Rivière, écrivain et homme de théâtre. Pour lui, la haine du théâtre n’a jamais désarmé, ni les fantasmes, les stéréotypes, les clichés, sur son existence et sa mort.  De son côté, l’architecte Xavier Fabre développe l’image du mur et de la porte, en insistant sur le double mouvement de séparation et de franchissement de cette séparation. « Déconstruire tout ce qui sépare » tout en montrant que le mur est là, c’est le travail des créateurs.

Théâtre concurrencé par un univers d’images et de représentations, disséminé dans l’espace, dépendant de subventions, faut-il être pessimiste sur sa place et son rôle dans notre société ?   En fait, à notre époque où s’imposent les logiques marchandes et les manipulations, le théâtre vaut, comme « antidote », car il s’assume comme un dispositif qui donne à voir ses propres moyens. En ceci, il offre au « spectateur participant » la déconstruction de l’illusion, selon Emmanuel Wallon, sociologue.

En fait, ce qui frappe c’est l’extraordinaire dynamisme du théâtre, en évolution permanente, où tout est possible, rien n’est figé. Théâtre de texte ou création de plateau, le théâtre n’est, en tout cas, jamais hors-langue. Hybrides, les arts de la scène peuvent jouer contre les attentes et les habitudes du public, mais aussi contre les règles, voire leurs propres règles. Robert Abirached rappelle la citation de Zola : « Le théâtre n’existe pas ».

Isabelle Royer

cf Le Monde : « Le grand théâtre de l’utopie » 6/12/14

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