Le stand up, la nouvelle comédie américaine

Performances, conférences, comédies contemporaines, quantité de projections de vidéos : ce programme pluridisciplinaire profus, franchement excitant, intitulé « Stand Up ! », entend secouer cet art de la scène typiquement américain en proposant à des artistes et des intellectuels de tous horizons de s’en emparer et d’en livrer leur interprétation. Manière de tracer les contours de la pratique, en prenant acte de l’influence considérable qu’elle a acquise dans tout le champ de la culture pop – de la télévision au cinéma, de la danse au théâtre, à l’art contemporain…

Culte de la « punchline »

Le stand-up se définit par son dispositif – une scène, un micro, un public, des sketchs courts – et une série plus ou moins stricte de règles d’énonciation – adresse directe au public, ton proche de la conversation, matière autobiographique, culte de la « punchline ». Art « désacralisé », comme le pose Amélie Galli, la programmatrice de l’événement, à la portée de tous, c’est aussi un art violent, dont l’histoire est jalonnée de dépressions, d’excès de drogue, de suicides… « Si tu n’es pas marrant, on te hue, tu dégages, au suivant… », résume le comédien Chris Rock dans une interview donnée au magazine So Film, qui loue, pour ces mêmes raisons, la relative justice du métier : « Les comiques reconnus sont indiscutablement les plus drôles. »

Depuis la création, en 1975, de l’émission hebdomadaire Saturday Night Live, qui en a popularisé la pratique, la discipline est devenue, de fait, un vivier de talents pour Hollywood. Des acteurs comme Robin Williams, Eddie Murphy ou Steve Martin étaient des stars du stand-up avant de faire du cinéma. Dans les années 1990, une déferlante de « stand-uppers » a fait basculer la comédie américaine dans une ère nouvelle, plus burlesque, plus tapageuse, plus blagueuse, plus crue. Ben Stiller et Judd Apatow, Jim Carrey, Adam Sandler, Nicholas Stoller, Will Ferrell, Louis C.K., Kristen Wiig, Amy Poehler, Tina Fey et Melissa McCarthy, viennent de là – des planches pour certains, des émissions de comédie type SNL pour les autres. Dans la comédie, ils ont importé de nouveaux gestes, de nouvelles manières de parler, de nouvelles attitudes.

Féroce et politiquement corrosif(…)

Le cinéaste français Pierre Salvadori a fait ses armes dans le stand-up, dans les années 1980, à l’heure où ce terme n’était pas encore d’usage en France. Attirant l’attention sur des auteurs comme Woody Allen, Judd Apatow ou Louis C.K. qui, comme lui, sont issus de cette scène, il voit une forme d’identité entre la pratique du stand-up et le geste de la mise en scène. « Au départ, il y a une expérience de récit autobiographique, fait par une personne seule, devant un public. Cette expérience se prolonge ensuite dans quelque chose de plus construit. Les auteurs délaissent le matériau autobiographique, mais leurs récits restent teintés de quelque chose de très précis, d’intime. C’est cela qui est intéressant au cinéma ! »

Changer les manières de voir

Au-delà du cinéma, l’influence du stand-up s’étend au théâtre, à la danse, à l’art contemporain. (…)

Changer les manières de voir, c’est un des enjeux du stand-up, dont les premiers représentants furent aussi des héros de la contre-culture. Celui qui a fait basculer le métier d’humoriste dans quelque chose de féroce et de politiquement corrosif est Lenny Bruce. Dans l’Amérique puritaine et raciste des années 1950, sa manière d’aborder frontalement la religion, la drogue, les races, l’avortement, le sexe, l’homosexualité même, faisant voler en éclats les tabous de l’époque, déconstruisant les préjugés en les montrant pour ce qu’ils sont, a fait l’effet d’un électrochoc. (…)

Chanté par Bob Dylan (« Lenny Bruce is Dead But His Ghost Lives on and on »  ; « Lenny Bruce est mort mais son fantôme continue de vivre, encore et encore »), référence pour les Beatles, les Stones, Simon and Garfunkel ou encore Romain Gary, qui le cite dans Adieu Gary Cooper, Lenny Bruce est devenu, après sa mort, en 1966, par overdose, un véritable mythe. Lenny, le film que lui a consacré Bob Fosse en 1974, avec Dustin Hoffman dans le rôle-titre, a eu, en outre, un retentissement énorme. « Et ce jusqu’en France, soutient Steve Krief, auteur d’une thèse sur l’humoriste. Coluche, Le Luron, Desproges, Bedos ont tous déclaré que ce film avait été un déclencheur dans leur vocation. Dans son sketch Propos obscènes, Guy Bedos revient sur le moment de sa mort, et sur ce geste d’un policier qui a replanté la seringue qui était tombée de son bras, pour les photographes. »

Brouillage identitaire (…)

Cette veine contestataire a continué de prospérer chez des comédiens américains (Robin Williams, Eddie Murphy, Whoopi Goldberg, Chris Rock ou Louis C.K.), inspirant de ce côté de l’Atlantique l’éclosion d’une scène française sous l’impulsion de Jamel Debbouze et du Jamel Comedy Club. Parallèlement, une autre forme de stand-up, tendance surréaliste, voyait le jour avec Andy Kaufman. Ce comédien hors norme, célébré par Milos Forman et Jim Carrey dans Man on the Moon (1999), masquait son identité derrière de multiples personnages dont il endossait les rôles sans jamais en incarner un seul qui soit « le vrai Andy Kaufman », brouillant ainsi la frontière entre le vrai et le faux, entre la scène et la vie.

(…) Premier stand-upper postmoderne, Andy Kaufman a ouvert la voie à une tendance, florissante sur la scène contemporaine, celle du brouillage identitaire entre la personne du stand-upper et ses multiples avatars, dont Sacha Baron Cohen est le plus célèbre représentant.

« Quand vous assistez à un spectacle, vous n’avez pas le sentiment d’être en 2015, mais le 9 avril 2015, soutient Miriam Katz. La performance n’est pas seulement empreinte de l’air du temps, elle s’invente au contact de la salle. C’est de l’ici et maintenant à l’état chimiquement pur. » On peut tracer des généalogies, faire remonter l’histoire du stand-up à la commedia dell’arte, ou à Mark Twain, qui haranguait les foules, comme on le lit parfois, on peut lui trouver des origines dans le vaudeville, dans les spectacles de burlesque… Mais le jeu trouve vite ses limites. L’humour vieillit mal. Quel qu’ait pu être le génie d’Eddie Murphy, les blagues homophobes qui ouvraient son spectacle Delirious ne passent plus du tout en 2015. Aujourd’hui, la jeune génération se réclame éventuellement de Chris Rock, ou de Louis C.K., pas d’un seul de ses prédécesseurs. Ceux-là sont juste bons pour le musée.

Stand Up ! Centre Pompidou, Paris 4e. Du 15 avril au 17 mai.

Stand Up ! La nouvelle comédie américaine, programmation de films. Centre Pompidou, Paris 4e. Du 15 avril au 21 juin.

  • Journaliste culture, critique de cinéma

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/04/15/le-stand-up-gagne-en-standing_4616255_3246.html#U4E9MQHSu315ftkb.99

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