« L’action artistique est une action politique »

Le monde semble sur le point de succomber, Cap au pire comme dit Samuel Beckett. Les tenants du chiffre semblent sur le point de l’emporter définitivement, de réaliser leur rêve de mort. D’imposer leur vision d’un être humain réduit à sa plus médiocre et sinistre expression. Ils ont même inventé un mot pour ça : transhumanisme.

Disposant de tous les moyens, arrêtés par aucun scrupule, on les voit manœuvrer et poser leurs pions, leurs mines, depuis au moins cinquante ans (mais ça a commencé bien avant), dans l’ombre d’abord, puis en pleine lumière quand ils sont assurés de la victoire. On les voit nier l’évidence, mentir sur le réchauffement climatique et les OGM, on les voit s’acharner à laminer tout ce qui peut ressembler à un système de solidarité, à commencer par les services publics. Seul le pouvoir d’écraser l’autre compte à leurs yeux, c’est leur seule force, elle leur convient. Et ils n’ont plus besoin de faire grand chose pour réduire les peuples au silence, il leur suffit de les priver des outils de la sensibilité et de l’intelligence, de détruire les lieux où elles se partagent ensemble, de les matraquer de publicité et d’une information savamment hiérarchisée, de les décérébrer en somme.  Comme le dit François Simon dans le puissant Charles mort ou vif d’Alain Tanner, «la violence de la répression n’a plus besoin de fusil ni même de visage, elle est en nous».

Comment s’étonner que les pratiques de l’art, qui sont le signe d’une croyance en un humain doté d’imaginaire, perfectible, en recherche, un humain qui croit à la valeur du symbole et récuse celle du chiffre, un humain en un mot  doté d’une âme, soient les premières victimes de l’hécatombe ? Comment s’étonner que les outils de ces pratiques, qui n’ont aucune vocation à la rentabilité, les lieux, ceux où l’on se rassemble pour se nourrir ensemble de beauté, les équipes artistiques, les festivals, soient non seulement négligés mais bel et bien détruits l’un après l’autre par les tenants du pouvoir de l’argent ?

Deux conceptions antagonistes du monde et de la place qu’y tient l’être humain s’affrontent en un combat mortel. L’une place très haut le symbole et prend en compte l’humanité entière, l’autre réduit tout à des chiffres et se persuade que l’avidité est une qualité supérieure. Cette dernière conception, parfaitement mise au point  par les théoriciens ultralibéraux de l’École de Chicago, et en particulier Milton Friedman, l’emporte aujourd’hui. Elle vient d’être couronnée par l’arrivée d’une caricature humaine à la tête des États-Unis d’Amérique. Et il ne n’agit pas ici d’une guerre anodine, mais d’une offensive contre l’être humain. Une guerre entre une puissante armée, coalisée, de déshumanisation, et de maigres troupes, désarmées et éparses, qui tentent de lui résister. Nous sommes l’une de ces troupes, pour ce qui est de l’art et de la culture. Et nous ne voulons pas baisser les bras.

Depuis vingt-deux ans, avec Cassandre, Cassandre/Horschamp (www.horschamp.org), puis L’Insatiable et Archipels (www.linsatiable.org), nous menons une action éditoriale et de rencontres dans le but de faire apparaître à la conscience de tous l’importance du geste artistique en tant que geste politique, outil de transformation sociale.

Depuis vingt-deux ans nous tirons régulièrement la sonnette d’alarme. Ce que nous ne cessons de répéter sur tous les tons et de  développer de toutes les manières possibles, c’est qu’il s’agit d’une question de société essentielle, largement aussi importante que celle de l’écologie, qui doit être traitée comme telle par tous les acteurs de cette société. Par tous, tout le monde, de ceux que l’on nomme «le public» aux responsables politiques, en passant bien sûr par ceux qui s’intitulent artistes. Nous avons essayé, autant que nous avons pu, de faire entendre ça, en expliquant, en fournissant des exemples, en faisant appel à des chercheurs très pointus de différents domaines.

Nous l’avons fait dans un contexte rude, où les revues ont beaucoup de mal à être correctement diffusées et reconnues, où la presse la plus médiocre est outrageusement favorisée, où l’attention requise pour pénétrer un sujet qui semble toujours secondaire – alors qu’il est central -, est très difficile à obtenir de personnes qui, si elles n’étaient en permanence ramenées à des intérêts matériels et à la consommation, entendraient fort bien notre propos.

Nous avons donc été très peu entendus. Beaucoup plus, sans doute,  par les acteurs les plus modestes et les gens ordinaires que par ceux qui portent d’importantes responsabilités, mais nous avons été peu entendus. La confusion scrupuleusement entretenue entre l’art le divertissement et le commerce par les boutiquiers qui sont aux commandes du monde, ne cesse de faire passer à l’arrière-plan les enjeux véritables. Et l’idée de l’importance de l’art, ou si l’on préfère de l’action artistique, peine à se faire la place qu’elle mérite dans les esprits.

Que faire aujourd’hui pour continuer à œuvrer dans le sens de cette prise de conscience, car il faut absolument le faire, alors que tous les responsables politiques fuient la question et nous lâchent les uns après les autres ? Nous proposons de nous réunir pour en parler avec vous et inventer ensemble de nouvelles pistes, nous avons besoin de votre aide, nous avons besoin de lieux, nous avons besoin d’organisation et d’énergies.
Si vous voulez accueillir une grande conversation de ce type et y participer, merci d’écrire à nr (at) horschamp.org
Nicolas Roméas

https://blogs.mediapart.fr/nicolas-romeas/blog/210117/laction-artistique-est-une-action-politique

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