La banane de Maurizio

  Maurizio Cattelan, Untitled 2001 (détail)

Lundi 9 décembre, le Courrier International inscrivait sur sa page culture, ce titre intrigant : « La banane à 150 000 dollars de Maurizio Cattelan est bien une œuvre d’art. « 
Au même moment, internet oblige, l’hebdomadaire Le point titrait : « La banane flambe, le prix de l’art aussi ».
Dès le 8 décembre, le journal Le Monde avait titré : « Une banane scotchée à un mur vendue 120 000 dollars à la foire d’Art Basel… avant d’être mangée ».
On en savait déjà un peu plus, même si le mystère de la banane restait obscur.
Il fallait alors lire l’édition de l’AFP : « Banagate à la foire Art basel Miami ». Avec ce sous-titre : « Art Basel Miami: 120.000 dollars pour la banane de Cattelan… mangée par un passant | AFP News ». Ceci immédiatement rectifié dès la ligne suivante : « Une banane vendue 120.000 dollars par un artiste italien, dévorée par un autre artiste : c’est le happening qui secoue la foire Art Basel organisée à Miami ».
Dans la matinée du 11 décembre, France culture, dans 2 courtes interventions, évoquaient le scandale de la banane, la 1ère à 8h45 , la seconde à 10h45 , intitulées successivement :
De l’urinoir de Duchamp à la banane de Cattelan : le monde de l’art s’est-il fait bananer ? (La théorie) Titre prouvant habilement une culture artistique, assorti de la touche d’humour indispensable .
Pourquoi je suis en paix avec la querelle de l’art contemporain (Journal de la philo), approche infiniment moins accrocheuse et qui augurait une réflexion plus personnelle, moins racoleuse.

Ainsi l’art contemporain est accusé de beaucoup de maux : incompréhensible, stupide, scandaleux, dénué de sens, et il n’en finit pas de nourrir chez certains une sourde hostilité. Et surtout, ses artistes sont régulièrement soupçonnés d’être des imposteurs.

Le bruit court depuis déjà pas mal de temps, que chacun de nous est un artiste. J’ai même entendu dire que le matin, lorsque je choisis mes vêtements, je fais acte artistique.
 Nous sommes tous des artistes et l’art est notre terrain à tous.
 Ainsi, il suffit que je crée un objet. Je suis artiste ! donc j’ai produit une œuvre d’art, l’art compte désormais avec moi.
Mais plutôt qu’affirmer que chacun d’entre nous est un artiste potentiel, avec la suspicion que cela engendre, il paraît plus logique de penser que c’est l’œuvre elle-même qui désigne l’artiste.
Or, comment considérer comme œuvre d’art une banane accrochée à un mur ?
Me permettra-t-on de penser que ce n’est pas l’objet, devant nous, offert à notre regard, qui définit sa qualité d’œuvre d’art mais ce qui l’a fait, ce qui l’a produit, c’est à dire : d’où il vient. L’origine d’un acte artistique est inatteignable, elle appartient à un seul être. 
De quelle représentation du monde est-il issu ? De quel imaginaire vient-il, à la fois loin du spectateur et suffisamment extra-ordinaire pour l’interroger ?
Une oeuvre d’art qui nous touche comprend un mystère : celui qui oblige à s’immobiliser devant elle, à interrompre jusqu’à nos pensées. La fascination ( ou l’émotion, comme on voudra…) ressentie devant certaines oeuvres ne vient-elle pas du trouble que l’on éprouve alors ? Devant l’évidence qu’il y a là quelque chose d’inaccessible et pourtant humain ? Si la contemplation d’une œuvre d’art produit un déchirement, et oblige à un retour sur soi et finalement un retour au monde, c’est qu’une œuvre peut nous changer. Ce moment-là nous est précieux. Pourtant, on est toujours en dehors de l’œuvre. L’art est dans l’invérifiable. Comment prouver ce que l’on ressent devant une œuvre et convaincre que l’on y a vu ce que personne ne voit ? Là est la force de l’art. Ce que je vois est-il vraiment la réalité de l’artiste ? La mienne ? Peu importe, ce flou qui me parle, je peux quand même le partager avec d’autres, il me permet d’établir une certaine familiarité entre ce que les uns et les autres y voient.
Mais… la banane ? …
L’art contemporain, hermétique, parfois peu aimable, parfois grotesque, parfois grossier, ne « dit » rien. Il montre quelque chose. Et ce quelque chose est en général incompréhensible parce qu’il est à la fois sans ambigüité et opaque à toute interprétation. Ce qui se traduit par :   » Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça ne veut rien dire. On se moque de nous  » Toujours menacé par le soupçon de frivolité et d’insignifiance et surtout de supercherie. A la fois objet réel et leurre. Ceci n’est pas une révélation : l’art contemporain agace. Parce qu’il a détourné tout ce que la plupart attendent de l’art. La faute à qui ? Aux artistes ou aux galeristes ? Aux snobs ? Aux collectionneurs ? Aux spéculateurs ? Peut-être que ce qui indispose le plus le public, est qu’il est difficile sinon impossible de définir la valeur artistique d’une œuvre d’art contemporain, puisqu’elle est, a priori, hermétique. Fini le coup de foudre, l’impression que l’artiste a pénétré notre être profond. Fini le trouble et l’émoi. Restent l’irritation ou l’indifférence. L’art contemporain a tué l’art ?  Vraiment ? C’est peut-être qu’il faudrait remplacer l’émotion par l’imagination.
Maurizzio Cattelan a appelé sa banane : comedian. Comédien, tragédien. Cette banane n’aurait-elle pas pour mission de nous jouer la comédie du marché de l’art ? La tragédie de l’influence accordée, non plus à la valeur artistique mais à celle des biens matériels ? N’est-elle pas là pour nous donner à réfléchir ?  Ce qui nous amène à poser la question : au XXIe siècle, qu’est-ce qu’un artiste ?

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