« Les images nous leurrent et les mots abusent de notre crédulité… »

Philippe Dagen a vu pour Le Monde  l’exposition Magritte auCentre Pompidou :

pipe

« Magritte (1898-1967) a passé son temps à créer le trouble. Il s’est appliqué à dénoncer les illusions de la peinture et les conventions du langage : les images nous leurrent et les mots abusent de notre crédulité. Une centaine d’œuvres, principalement des toiles, sont disposées dans un ordre qui n’est pas chronologique, mais logique – ce qu’il faut saluer car les musées se contentent le plus souvent de ranger les tableaux par dates sans chercher à suggérer la cohérence d’une pensée, ni les obsessions d’une création.

L’obsession, ici, c’est la fausseté. Aussi l’exposition a-t-elle pour titre celui d’un Magritte entre tous exemplaire, La Trahison des images. On le connaît sous un autre nom, « Ceci n’est pas une pipe », négation écrite en lettres rondes d’écolier sous la représentation minutieuse d’une pipe. Trahison ? Magritte, fatigué de devoir s’expliquer, finit par s’en tenir à un raisonnement simple : ceci n’est pas une pipe puisque nul ne peut la fumer. L’image trahit en se prétendant le double de l’objet alors qu’elle n’en est, tout au plus, qu’une indication partielle. Trompe-l’œil et trompe-l’esprit.

« Les Marches de l’été » (1938),  de René Magritte, huile sur toile, 60 × 73 cm.
« Les Marches de l’été » (1938),  de René Magritte, huile sur toile, 60 × 73 cm. COLL. CENTRE POMPIDOU, MUSÉE NATIONAL D’ART MODERNE/PHOTO : PHILIPPE MIGEAT © ADAGP, PARIS 2016

(…) Ces incertitudes, les illusions qu’elles entretiennent, les malentendus qui ne peuvent manquer de naître, tel est le territoire mouvant où s’établit Magritte, du moment où il ne fait plus que peindre – en 1924 et après sa sidération devant une photo du Chant d’amour de Giorgio De Chirico – jusqu’à sa mort en 1967. Il le parcourt et le cartographie, repassant de temps en temps aux mêmes endroits. Nommons-les carrefour des Faux-Semblants, place des Spectres, avenue des Mirages. Il se fait, avec une cohérence stricte et selon une méthode rigoureuse, l’artiste des incohérences et des erreurs et n’en démord pas. Jusqu’à la fin, il se plaît à perturber la vue.(…)

Magritte peut être considéré  comme un déconstructeur de l’imitation du monde réel.Magritte peut être considéré  comme un déconstructeur de l’imitation du monde réel. MARTIN BUREAU/AFP

Chacune de ses œuvres fonctionne ainsi comme un piège où l’œil est attiré par des leurres. Illusions partout, vérité nulle part, ni dans les images ni dans les mots. Scepticisme généralisé, ironie universelle. Par souci de clarté, l’exposition se découpe en quatre chapitres : les mots et les images ; l’invention de la peinture ; l’allégorie de la caverne ; rideaux et trompe-l’œil. Ils sont précédés d’un Portrait de Magritte en philosophe, qui justifie cette présentation en rappelant les intérêts intellectuels de Magritte, lecteur de Heidegger, Merleau-Ponty et Foucault. Avec celui-ci, il engage une brève correspondance à la parution de Les Mots et les Choses en 1966. Ces éléments biographiques confirment qu’en effet il peut être considéré essentiellement comme un déconstructeur de la peinture. Plus exactement d’une certaine conception de la peinture : l’imitation du monde réel. Car c’est d’imitation qu’il s’agit et du point de perfectionnement visuel extrême où l’ont porté le réalisme du XIXe siècle et les progrès techniques.

Ayant lui-même dû s’employer dans la publicité, Magritte a toutes les connaissances nécessaires et s’y tient, indifférent aux propositions des avant-gardes du début du XXe siècle qu’il affecte de mépriser parfois. Ce savoir-faire hyperréaliste, au lieu de s’en servir comme ses confrères, pour enchanter, il le pervertit pour décevoir et railler. Il s’empare de motifs réputés émouvants ou sublimes : hautes montagnes, mers, couchants, femmes nues, sous-bois et clairs de lune. Mais le panorama alpin s’avère n’être qu’une pauvre image plate sur son chevalet et la femme une juxtaposition de détails anatomiques séparés par des vides. Ne restent que des stéréotypes, qui ne peuvent plus ni fasciner ni exciter. L’humour de Magritte est noir et cruel.

(…) Joan Miro ou Max Ernst créent en poète, lui en logicien. Il ne cultive pas l’onirisme, mais la raison critique. Il ne tend ni au fantastique énigmatique, ni au symbolisme. (…)

« Magritte. La Trahison des images ». Centre Pompidou, Galerie 2. Paris 4e. Tous les jours (sauf mardi) de 11 heures à 21 heures. Nocturne jusqu’à 23 heures les jeudis soir et lundis soir. Entrée : de 11 € à 14 €. Jusqu’au 23 janvier 2017. centrepompidou.fr

 Philippe Dagen
  • Journaliste au Monde

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