Deux pièces courtes de Daniel Keene à Avignon : « la crise en face »

Festival d’Avignon/ 2013

Antoine Marneur et Bruno de Saint Riquier mettent en scène deux pièces courtes de Daniel Keene : Deux tibias; Nuit, un mur, deux hommes, réunies sous le titre « Quand la nuit tombe ».

Le Théâtre du Détour a présenté à Avignon deux pièces de Daniel Keene qui font écho à la pièce d’Elfriede Jelinek mise en scène par Nicolas Steman sur la crise financière et ses conséquences.

L’auteur australien, né en 1955, de milieu modeste et souvent confronté à des difficultés financières lors de ses pérégrinations, connaît parfaitement l´univers des clochards. Peut-être même a-t-il partagé cette expérience de l’intérieur, tant les monologues ou les dialogues entre les deux protagonistes semblent réalistes.

Exclus, Sans Domicile Fixe, mendiants, marginaux, nouveaux pauvres, les mots ne manquent pas pour désigner ces « naufragés », selon le substantif utilisé par le psychanalyste et anthropologue Patrick Declerck dans son récit éponyme.

Antoine Marneur et Mouss Zouheyri campent deux exclus de nos villes.

Là encore, la crise, avec le chômage et la précarité, voire l’exclusion, s’invite sur le plateau.

Il est vrai que les manteaux rapiécés et les bonnets de laine renvoient les deux personnages au monde de la rue, à l’abri tout illusoire d’un angle de murs, dans un espace froid et hostile.

Mais les pièces de ces manteaux brillent, dès le début de la représentation, dans le noir de la scène comme des étoiles, ou des broderies de samouraï : clochards célestes ? Vladimir et Estragon, tout droit sortis de En attendant Godot, de Beckett ?

Dans le premier texte, un mendiant fait le récit embarrassé et ému, de l’enterrement sommaire, mais digne, d’un bébé trouvé agonisant dans une poubelle. Il fait froid dans le dos, renvoyant sans fioritures à une société cruelle qui abandonne ses enfants, à la faim, au froid, à la solitude, à la violence et à la mort.

Dans chaque texte de ces « effarants professeurs du négatif » (Declerck), des bribes de souvenirs, de brefs récits, des commentaires sur ce qui les entoure, des réflexions, parfois humoristiques, nous arrachent à nous-mêmes, à nos vies confortables, et nous force à regarder en face ces exclus, dont on ne sait s’ils sont victimes innocentes ou vagabonds transgressifs.

Peu à peu, le spectateur noue des liens d’effroi, de fascination et de familiarité avec ces êtres désocialisés.

Ce que l’on croyait être les frontières entre l’exclu et l’inclus se brouille : on ne sait plus où sont les « marges » de la société.

Le dernier monologue,magnifique, prend la forme d’une préconisation lyrique pour s’évader, grâce à l’imagination, du réel mortel.

Mouss Zouheyri réussit à nous entrainer dans le ciel de son clochard, dans lequel nous reconnaissons, enfin, par cette ode à la création, notre propre visage.

 

Isabelle Royer

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