Des images trompeuses

Tartiufas d’Oskaras Korsunovas à l’opéra Confluence

Un labyrinthe de haies vertes suffit à évoquer le siècle de Molière : réseau d’entrées et de sorties mais aussi de cachettes, d’errements et de fourvoiements.

Un grand écran surplombe la scène, ici un smartphone, là un jeu vidéo, c’est l’ère des images, celle que chacun donne à voir, à l’instar de Tartuffe qui a séduit Orgon à l’église par une apparence pieuse. 

Orgon est très sensible aux images : il tient lui-même un blog dans lequel il se met en scène, interprétant ses prétendues qualités de notable. Son fils joue à abattre des monstres dans des jeux vidéo. Sa fille prend des selfies. C’est dire que dans ce monde où le virtuel a plus d’importance que le réel, celui des réseaux sociaux, Tartuffe est en terrain connu ! Il se mettra lui-même en scène, à la fin de la pièce, sur un site à la gloire de sa nouvelle position sociale, déambulant dans les rues d’Avignon lors de la finale victorieuse de la Coupe du monde de foot, après avoir dépouillé Orgon et toute sa famille.

Ajoutons que la caméra suit les personnages en coulisses – en noir et blanc – comme dans un lieu plus intime où l’on s’épanche plus sincèrement. Dorine et Marianne s’y retrouvent pour contrer la volonté d’Orgon de marier sa fille à Tartuffe : l’heure est grave et la critique du patriarcat –filmée en regard caméra – acerbe.

Dès le début, l’intelligence de la lecture du texte nous réjouit : la diatribe puritaine de Madame Pernelle prend tout son sens. Elle est elle-même filmée et donc soumise aux mêmes diktats de représentation de soi-même que les autres, mais son image se déforme peu à peu proportionnellement à ses critiques de vieille folle. Oui la famille fait la fête, oui on boit, on flirte, on joue aux cartes, tout ce petit monde prend du bon temps, alors même qu’Orgon est filmé en homme vertueux dans les rues d’une ville qu’on devine de l’Est. La deuxième épouse d’Orgon n’est pas la femme vertueuse et angélique que l’on aime nous montrer, c’est une plantureuse jeune femme séduisante qui aime s’amuser en toute spontanéité. Elle n’a pas de mal à affoler le dévot !

Ce n’est pas que Tartuffe lui-même nous effraie. Il ne ressemble pas au redoutable intégriste d’Ariane Mnouchkine ni au séducteur pervers d’autres metteurs en scène. Son allure est anodine, on ne s’en méfie pas : démasqué par Damis, nu comme un vers, il pleurniche en plaidant coupable, de manière tellement pitoyable qu’Orgon lui signe immédiatement une donation de tous ses biens ! Là est son habileté : on le croit inoffensif, il triomphe….Tel est pris qui croyait prendre…Il y a de la fable dans cette histoire.

Qui ne pense alors aux différents postulants ayant accédé sans crier gare au pouvoir ? Qui ne regrette à ce moment-là sa désinvolture, son déni, son assurance, face à l’influence des monstres doux que sont les écrans ?

Le long baiser entre Orgon et Tartuffe évoque le charme puissant de la séduction,  étreinte goulue du diable.

Il faut voir la satisfaction de l’hypocrite après la mise en scène d’Elmire censée le perdre : il est trop tard. On rit beaucoup lors de ce spectacle mais la fin nous glace. Pas de deus ex machina dans cette mise en scène : Oskar Korsunovas, le lituanien,  ne redoute ni roi ni église ni cabale…Il peut proposer le dénouement que Molière, n’en doutons pas, a secrètement conçu. Et l’écran nous montre la famille ruinée, chassée, sortant à la queue leu leu de l’opéra Confluence dans le soleil poussiéreux d’Avignon.

Isabelle Royer

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