« Chaque fait brut peut se transformer non seulement en récit mais en fiction »

Clint Eastwood a réalisé onze films depuis 2006. A trois exceptions près, ceux-ci s’inspiraient de faits réels et de la vie de personnages authentiques.

( Sully, Mémoires de nos pères, L’Echange ,  Invictus, J. Edgar , Jersey Boys , American Sniper).(…)

C’est tout un processus de fabrication de grands récits auquel s’est ainsi livré le cinéma depuis sa naissance.

 
Clint Eastwood semble pourtant, depuis ses derniers films, s’engager dans cette voie mais avec, peut-être, le sentiment confus que les choses ne vont plus vraiment de soi. On sait, désormais, depuis L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford, que lorsque la légende dépasse la réalité, on imprime la légende. Mais ce savoir a fait entrer le cinéma américain dans une nouvelle ère.

(…)Qu’est-ce que Sully, sinon la description d’un mécanisme de ce que l’on appelle le « story telling », à la faveur duquel chaque fait brut peut se transformer non seulement en récit mais en fiction. Le suspense y est bâti sur l’incertitude pesant sur deux événements, l’un purement héroïque – le pilote a sauvé la vie des passagers –, l’autre, celui d’un dysfonctionnement mécanique et humain – le pilote aurait pu sans danger poser son avion sur une piste d’atterrissage et a donc pris des risques inutiles.

Avec ses deux derniers films, American Sniper et Sully, Eastwood rappelle une préoccupation intime du cinéma hollywoodien : comment son carburant primordial, l’action transformée en aventure, s’oppose essentiellement à l’inertie de la vie quotidienne.(…)

C’est ainsi qu’il est de plus en plus difficile de qualifier avec certitude l’œuvre d’Eastwood, classique, en apparence, dans sa facture, mais moderne, peut-être, par la conscience de sa place dans l’histoire du cinéma.(…)

Les toutes dernières images d’American Sniper et de Sully rappellent à quel point ce que le spectateur a vu relève de l’artefact, de l’hypothèse spectaculaire plutôt que d’un constat de ce qui est. Soudain, le réel semble y faire irruption avec les plans filmés du véritable enterrement de Chris Kyle ou une cérémonie organisée avec le vrai Chesley Sullenberger et les passagers de l’avion qu’il a posé sur l’Hudson. Caution de la réalité appelée au secours du spectacle ? (…)

Le cinéaste Jean Eustache avait réalisé, en 1977, Une sale histoire. C’était un film coupé en deux. Un récit voyeuriste et trivial était conté deux fois. La première fois par un comédien professionnel (Michael Lonsdale), la seconde par celui qui avait vraiment vécu l’expérience contée (Jean-Noël Picq). La juxtaposition des deux moments brouillait la frontière entre ce qui relevait du vécu et ce qui relevait de la fable mais affirmait, in fine, la toute-puissance de la fiction. Filmer l’Histoire, c’est déjà la rêver. C’est ce que rappelle aussi, par des moyens radicalement opposés à ceux d’Eustache, le cinéma d’Eastwood.

  • Jean-François Rauger
    Journaliste au Monde

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