Ce que vous vouliez savoir sur la « performance »….

Le terme « Performance » désigne les manifestations qui, dans une durée et un espace déterminés, mobilisent la présence physique d’un ou de plusieurs participants et soumettent les spectateurs à des situations et à des émotions directes.

A la fin de l’année 2016, deux mois durant, le Palais de Tokyo, à Paris, a confié ses 13 000 m2 vides au Britannique Tino ­Sehgal. Principe de fonctionnement de son « œuvre » – un terme qu’il n’admet pas, préférant parler de « situations » : les spectateurs qui se promènent dans les salles peuvent être interpellés par l’un des 300 intervenants que l’artiste a choisis et préparés à l’exercice. Leur fonction : poser des questions aux visiteurs. « Qu’est-ce que le mystère ? » ou encore « Qu’est-ce que c’est, le progrès ? » La manifestation a suscité un engouement considérable.

Le soir de l’ouverture de la dernière Biennale de Dakar, le 3 mai 2016, un grand nombre de spectateurs se sont retrouvés dans la cour du principal bâtiment d’exposition pour assister à la performance de l’artiste franco-gabonaise Myriam Mihindou. Elle s’intitulait Okuyi, cortège d’un lait de chèvre. (…)

Qu’y a-t-il de commun entre les performances de Myriam Mihindou et de Tino Sehgal, l’une proche du sacré, l’autre profane, l’une accomplie par l’artiste elle-même, qui jette son corps dans l’expérience, l’autre déléguée à des interprètes recrutés comme le sont les figurants d’un film ? Rien, si ce n’est qu’il s’agit, dans les deux cas, de moments assez brefs et qui se prêtent mal à l’enregistrement : Sehgal refuse films et photographies, Mihindou ne conserve qu’une seule image de son action.

Rien, donc, si ce n’est leur intense pouvoir d’attirance et ces deux évidences que l’un et l’autre confirment : ce mode de création éphémère est désormais reconnu par les publics de l’art contemporain au même titre que les autres, et rencontre depuis quelques années un net regain de pratique et d’intérêt.(…)

Pourquoi ce regain ? La performance, très présente dans les années 1960 et 1970, a par la suite perdu de son éclat.(…)
 

Mais le genre se développe véritablement à partir des années 1950 : le groupe Gutaï au Japon ; les premières performances à New York à l’initiative d’Allan Kaprow, Carolee ­Schneemann, Claes Oldenburg ou Wolf Vostell, jusqu’à la Cut Piece de Yoko Ono, en 1965, où des spectateurs découpaient ses vêtements à même son corps ; le happening en France à l’initiative de Jean-Jacques Lebel avec, pour apothéose, les 120 minutes dédiées au divin marquis – Sade – en 1966 ; le mouvement Fluxus en Allemagne et aux Etats-Unis avec George Maciunas, Nam June Paik ou Ben ; et encore les gestes extrêmes des « actionnistes » viennois sur leur propre corps, Otto Muehl, Hermann Nitsch, Gunter Brus ou Rudolf Schwarzkogler.

Ces mouvements font irruption – et scandale – tout au long des années 1960. Puis les performances d’Ana Mendieta, Orlan, Valie Export et Marina Abramovic forment une deuxième génération, féminine et féministe. Mais, comme l’affirme encore Jean de Loisy, « les années 1980 ont marqué la fin de ce premier modèle, qui reprend avec une certaine intensité au début des années 2000 ».

Pourquoi ? D’abord parce que l’histoire de la période initiale, celle des pionniers et des inventeurs, est désormais écrite.(…)

….la différence entre performance et théâtre devient incertaine – d’autant plus que les écoles d’art enseignent désormais la performance, autant sa pratique que sa théorie, sous forme de cours réguliers. Ce que remarque aussi Jean de Loisy : « Aujourd’hui, la performance se nourrit des arts du cirque et de la danse. La limite entre les disciplines est de plus en plus ténue dans les mondes sans frontières du spectacle et de l’art. »

L’historicisation a ainsi mis à la disposition des jeunes artistes un corpus de plus en plus vaste de références et de modèles. Explication suffisante ? Pas pour Sophie Delpeux, qui suggère un parallèle entre la période qui a vu naître la performance et la nôtre. La question sexuelle ne serait-elle pas centrale à nouveau, s’interroge-t-elle ? « Nombreux sont ceux qui voient des signes de régression dans ce domaine. Or, la performance est vraiment marquée par les thématiques de la liberté et de l’aliénation des corps. Il n’est pas surprenant qu’elle fasse retour, donc, quand la censure refait surface. »

La censure s’indignait en effet il y a un demi-siècle des performances dont la nudité partielle ou totale était l’enjeu. De Yoko Ono à Lebel, de Yayoi ­Kusama aux parodies obscènes des actionnistes viennois ou à la dénonciation du viol dans la Rape Scene d’Ana Mendieta, l’histoire de la performance se confond alors avec celle de la lutte pour la liberté des mœurs et contre la marchandisation du corps de la femme par une société dominée par le pouvoir et le désir de l’homme.

En serait-on encore à ce stade ? Les indices en ce sens prolifèrent. (…)

A un degré plus politique, des actions en justice ont été intentées contre les Femen, dont les seins nus offenseraient quelque regard divin ou quelque dignité nationale. (…)

En écho aux procès dont elles sont accablées, Annette Messager a rendu hommage aux Femen, en décembre 2016, dans son exposition parisienne intitulée « A mon seul désir ». Affirmer que les interdits et les supposés devoirs imposés aux femmes par les religions ne cessent de s’aggraver relève du truisme. La performance est un moyen radical de s’opposer à la domestication du corps par la désobéissance publique. Transgression contre oppression.(…)

La performance est un rite de passage. Elle répond à une nécessité. C’est un art de vivre, de déclamer – une autoguérison. » (Myriam Mihindou.) Serait-ce à une thérapie de ce genre qu’aspirent, de plus en plus nombreux, les praticiens et les spectateurs de cet art qui laisse moins de traces matérielles que d’empreintes mentales ?

  • Philippe Dagen
    Journaliste au Monde

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/arts/article/2017/01/19/le-grand-retour-de-la-performance_5065423_1655012.html#t3S6KTKuR8rdH8Ek.99

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