« Ce n’est pas pendant une catastrophe, mais avant et après, que la culture doit être un produit de première nécessité »

Chronique. Pour le dire trivialement, la culture est-elle un produit de première nécessité, aussi vital pour l’esprit que les fruits et légumes le sont pour le corps ? C’est un sujet de colloque. Mais qui pèse lourd, tant le secteur accumule les millions d’euros de pertes à cause du coronavirus. Et là, on voit que la question cache une bonne dose de boursouflure et d’hypocrisie.

Déjà, pendant ce confinement, on entend de belles paroles sur l’art qui aurait sauvé les gens en quarantaine. On ressort une formule incertaine de Churchill pendant le second conflit mondial, alors qu’on lui proposait de couper le budget culturel : « Si nous sacrifions notre culture, pourquoi nous faisons la guerre ? »

C’est juste mais cassons l’ambiance. D’abord, le confinement tue la culture et amplifie une fracture. L’immense majorité des gens, on peut les comprendre, plongent dans le zapping, le clip potache, la lecture digest, le divertissement rapide, tout un magma amplifié par l’Internet. Une minorité, toujours la même, suit les conseils de films, spectacles ou livres à déguster sur écran en privilégiant la perle. Et puis ça se saurait si la culture était essentielle. Elle n’existe pas dans une campagne électorale, elle est marginale dans le budget de l’Etat, elle pèse peu dans les débats de société. Elle nourrit mais ne sauve pas.

Pas envie de jouer les grognards au front

L’expression « produit de première nécessité » que l’on colle à la culture a pourtant été brandie un peu partout en Europe, même aux Etats-Unis, et chaque fois elle a volé en éclats. Les pays ont établi leur liste de commerces qui échappent au confinement. Sans la culture. Sauf en Allemagne où des librairies n’ont jamais fermé. Parce que les ravages du virus y sont plus faibles. Du reste, la culture ne rouvrira partout que lorsque les conditions sanitaires le permettront, pas parce qu’elle est vitale.

En France, au tout début du confinement, Emmanuel Macron a évoqué le caractère essentiel du livre. Mais sans aider les librairies. Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, qui a écrit huit livres, a alors estimé que c’est « un commerce de première nécessité ». Il a tendu une perche aux librairies, envisageant leur ouverture. Elles ont répondu non. Pas envie de jouer les grognards au front. Pas envie de mettre en danger les personnels, le public et les livreurs, alors que les Français doivent rester chez eux.

L’argument se défend. Mais il a fait des dégâts. Il a divisé la profession, certains étant prêts à jouer le jeu. Il laisse le champ libre à des hypermarchés qui vendent de quoi manger mais aussi des livres, notamment ceux qui font les grosses ventes. Concurrence déloyale, ont hurlé les libraires. Tant pis pour eux – et pour nous – ont réagi, passablement agacés, des éditeurs, ajoutant que les libraires ont raté une sacrée occasion d’inscrire la culture dans les produits de première nécessité.

Indignation générale

Cet épisode a fait culpabiliser les libraires. Mais ils ont dit non pour une autre raison. Depuis des années, ils vont mal, des dizaines d’enseignes ont fait faillite, ils se sentent abandonnés. Quand ils souffrent, on les laisse mourir, et quand le pays souffre, on dit qu’ils sont indispensables (…).

Les chiffres de l’après-virus diront si la culture est redevenue indispensable. Emmanuel Macron a promis qu’elle fera partie du gâteau nommé « plan de relance ». La taille de la part dépendra de lui, de la façon dont il arbitrera avec Bercy, qui a une longue tradition de fossoyeur de la culture. En tout cas le match est lancé.

MICHEL GUERRIN

LE MONDE 24 avril 2020


 

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