(Re)découvrir Dostoïevski, les Frères Karamazov : le meurtre du père

Un roman âpre et rude de Dostoïevski (1821/1841) : des personnages passionnés autour de Fiodor, le père, jouisseur, tyrannique et cupide, joué par Jacques Hadjaje, diabolique, dans un monde où il impose sa loi et où le plus riche ou le plus fort fait sa loi…Un monde sans pitié.

Nous avons vu Les frères Karamazov au Théâtre de Caen : beau travail ! Une mise en espace, et en musique pour redécouvrir le roman et les intuitions psychologiques, morales, sociales et philosophiques  de Dostoïevski. 

Des fils, maltraités par leur père, orphelins de mère, en quête de sens : Dimitri, joué Jean-Christophe Folly, d’origine togolaise, très inventif, partagé entre deux femmes, la bourgeoise et la putain, géniale Clara Mayer /Grouchenka, Ivan l’intellectuel, qui perdra peu à peu la raison, Aliocha mystique et bon, enfin le bâtard Smerdiakov, amer, sournois. On retrouve les leit-motiv de l’auteur, le sexe, l’argent, la religion, la place des enfants dans un monde féodal cruel…

Une maison ; même le toit est un espace de jeu en surplomb. Des isbas en verre : elles enferment les personnages dans des espaces réduits où ils sont confinés. Montées sur rail, elles empêchent le chemin buissonnier ! Qu’est-ce que la liberté ?   Mobiles comme dans une mine ( le dispositif est parfois lourd),  elles nous semblent une référence sombre aux « damnés de la terre ».  Suite de tableaux à deux ou trois personnages.

On se souvient que Les Frères Karamazov est un roman violent et complexe, mêlant « intrigue policière, histoires d’amours et exposés métaphysiques.(..) Le meurtre du père pose la question de la responsabilité ». Qui est coupable ?  Celui qui tue, celui qui le désire,  ou celui qui ne l’empêche pas ? Dans un monde sans Dieu, où est le bien, où le mal ? Quelle justice ?

Pourtant, dans ce climat tendu, au milieu des discours philosophiques, rien de pesant dans cette scénographie. Les comédiens sont musiciens et chantent à point nommé.  « Tombe la neige » d’Adamo est un exemple des fantaisies qui allègent le propos, comme  le rôle de narrateur, homme travesti en commère très drôle…. Tragi-comédie à l’instar d’une pièce de Shakespeare.

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Le travail sur la lumière magnifie des tableaux comme dans un Rembrand, petite consolation dans un univers sombre et sans pitié où les humiliations sont mortifères. Le petit Iliocha incarne le fils dont le père pauvre est déshonoré pour rien, pour le plaisir….Il en meurt.

Les comédiens prennent en charge chacun un monologue, un morceau de bravoure, qui raconte l’action, ou questionne la condition humaine…On ne pouvait imaginer des personnages à la diction simple, sauf Aliocha peut-être, spectateur sincère et généreux. La parole s’installe, se crie, se hurle, s’impose au gré des passions, douleur, haine, désir. Le récit du grand inquisiteur (le Christ de retour est condamné par un inquisiteur) en est un sommet !

Le portrait complexe des personnages se dessine peu à peu, avec leurs contradictions et leurs ambiguïtés. La dualité est au coeur de chacun, âme d’adolescents sans cesse blessée…Les costumes de Macha Makeieff évoquent d’ailleurs des mangas. Le procès de Dimitri se joue par gros plans sur écrans. Beaucoup de bonnes idées dans ce travail, peut-être un peu long dans un théâtre hors de la carrière Boulbon à Avignon…

I.R.

Jean Bellorini
Formé à l’école Claude Mathieu, le metteur en scène Jean Bellorini fonde la compagnie Air de lune en 2001. Considérant la musique comme le battement de coeur du théâtre, il entend célébrer les noces de ces deux arts à chaque nouveau spectacle. La poésie et le sensible sont au centre de sa démarche, qui mêle toujours comédiens et musiciens sur le plateau. En réflexion permanente autour de la parole, Jean Bellorini et sa troupe jouent sur la frontière entre théâtre et récit.

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